ses consultations et 
l’accompagnait dans ses visites, excellente éducation pratique qu’on 
devrait appliquer en France. On verrait peut-être baisser la mortalité qui 
afflige si cruellement la clientèle de nos jeunes docteurs.
L’élève de M. Snowdrop, George Arthurson, joli garçon d’une 
vingtaine d’années, était le fils d’un des plus vieux amis du docteur, et 
ce dernier l’aimait comme son propre fils. 
Le jeune homme ne fut pas insensible à la beauté de miss Bertha, mais, 
en honnête garçon qu’il était, il refoula son sentiment au fond de son 
coeur et se jeta dans l’étude pour occuper ses esprits. 
Bertha, de son côté, avait aimé George tout de suite, mais, en épouse 
fidèle, elle voulut attendre que George lui fasse la cour le premier. Ce 
manège ne pouvait durer bien longtemps, et un beau jour George et 
Bertha se trouvèrent dans les bras l’un de l’autre. 
Honteux de sa faiblesse, George se jura de ne pas recommencer, mais 
Bertha s’était juré le contraire. 
Le jeune homme la fuyait; elle lui écrivit des lettres d’une passion 
débordante: « … Être toujours avec toi; ne jamais nous quitter, de nos 
deux êtres ne faire qu’un être! … » 
La lettre où flamboyait ce passage tomba dans les mains du docteur qui 
se contenta de murmurer: 
-- C’est très faisable. 
Le soir même, on dîna à White Oak Park, une propriété que le docteur 
possédait aux environs de Pigtown. 
Pendant le repas, une étrange torpeur, invincible, s’empara des deux 
amants. 
Aidé de Joe, un nègre athlétique, qu’il avait à son service depuis la 
guerre de Sécession, Snowdrop déshabilla les coupables, les coucha sur 
le même lit et compléta leur anesthésie grâce à un certain carbure 
d’hydrogène de son invention. 
Il prépara ses instruments de chirurgie aussi tranquillement que s’il se 
fût agi de couper un cor à un Chinois.
Puis avec une dextérité vraiment remarquable, il enleva, en les 
désarticulant, le bras droit et la jambe droite de sa femme. 
À George, par la même opération, il enleva le bras gauche et la jambe 
gauche. 
Sur toute la longueur du flanc droit de Bertha, sur toute la longueur du 
flanc gauche de George, il préleva une bande de peau large d’environ 
trois pouces. 
Alors, rapprochant les deux corps de façon que les deux plaies vives 
coïncidassent, il les maintint collés l’un à l’autre, très fort, au moyen 
d’une longue bande de toile qui faisait cent fois le tour des jeunes gens. 
Pendant toute l’opération, Bertha ni George n’avaient fait un 
mouvement. 
Après s’être assuré qu’ils étaient dans de bonnes conditions, le docteur 
leur introduisit dans l’estomac, grâce à la sonde oesophagienne, du bon 
bouillon et du bordeaux vieux. 
Sous l’action du narcotique habilement administré, ils restèrent ainsi 
quinze jours sans reprendre connaissance. 
Le seizième jour, le docteur constata que tout allait bien. 
Les plaies des épaules et des cuisses étaient cicatrisées. 
Quant aux deux flancs, ils n’en formaient plus qu’un. 
Alors Snowdrop eut un éclair de triomphe dans les yeux et suspendit 
les narcotiques. 
Réveillés en même temps, Georges et Bertha se crurent le jouet de 
quelque hideux cauchemar. 
Mais ce fut bien autrement terrible quand ils virent que ce n’était pas un 
rêve.
Le docteur ne pouvait s’empêcher de sourire à ce spectacle. 
Quant à Joe, il se tenait les côtes. 
Bertha surtout poussait des hurlements d’hyène folle. 
-- De quoi vous plaignez-vous, ma chère amie? interrompit doucement 
Snowdrop. Je n’ai fait qu’accomplir votre voeu le plus cher: Être 
toujours avec toi; ne jamais nous quitter; de nos deux êtres ne faire 
qu’un être… 
Et, souriant finement, le docteur ajouta: 
-- C’est ce que les Français appellent un collage. 
LES PETITS COCHONS 
Une cruelle désillusion m’attendait à Andouilly. 
Cette petite ville si joyeuse, si coquette, si claire, où j’avais passé les 
six meilleurs mois de mon existence, me fit tout de suite, dès que 
j’arrivai, l’effet de la triste bourgade dont parle le poète Capus. 
On aurait dit qu’un immense linceul d’affliction enveloppait tous les 
êtres et toutes les choses. 
Pourtant il faisait beau et rien, ce jour-là, dans mon humeur, ne me 
prédisposait à voir le monde si morne. 
-- Bah! me dis-je, c’est un petit nuage qui flotte au ciel de mon cerveau 
et qui va passer. 
J’entrai au Café du Marché, qui était, dans le temps, mon café de 
prédilection. Pas un seul des anciens habitués ne s’y trouvait, bien qu’il 
ne fût pas loin de midi. 
Le garçon n’était plus l’ancien garçon. Quant au patron, c’était un 
nouveau patron, et la patronne aussi, comme de juste.
J’interrogeai: 
-- Ce n’est donc plus M. Fourquemin qui est ici? 
-- Oh! non, monsieur, depuis trois mois. M. Fourquemin est à l’asile du 
Bon Sauveur, et Mme Fourquemin a pris un petit magasin de mercerie 
à Dozulé, qui est le pays de ses parents. 
-- M. Fourquemin    
    
		
	
	
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