Voyage dun Habitant de la Lune à Paris à la fin du XVIIIe Siecle | Page 2

Pierre Gallet
de prendre par-tout, et de renverser l'ordre de la nature!? Eh bien, lecteur, supposez que mon lunian est un enchanteur; alors je me rétracte envers l'Arioste, et j'ai gagné ma cause auprès de vous?.... Rappelez-vous encore, que vous autorisates Voltaire à faire manger des montagnes par ses héros; que vous lui passates l'oiseau de Formosante, les licornes, le merle d'Amazan et les moutons à toison d'or de Candide. Lecteur, n'oubliez pas que le Pérou est encore sur votre globe, et qu'il est malheureusement trop connu.
Me calquant sur cet écrivain, j'aurais pu vous faire parler mes éléphans sans vous révolter. Vous pensez, sans doute, qu'un éléphant à plus de droit à tous égards qu'un merle, de faire un récit ou de tenir un beau discours; passe encore pour le phénix! ... Si tout cela ne vous déterminait point à supporter mes quadrupèdes a?lés, et si votre esprit, ayant pris une nouvelle direction, était devenu plus sévère, j'ajouterais que j'ai été soumis à la loi de la nécessité, comme le furent Homère, Fénélon, et tant d'autres, qui furent obligés de faire descendre leurs héros, moteurs, sur des aigles ou des nuages. Je ne pouvais pas faire arriver mon voyageur sur un rayon de soleil, formé en plan incliné, comme descendirent Uriel et St-Denis; les rayons du soleil ne partant pas de cette planete, et étant divergés seulement en courbe vers nous. Enfin il me fallait une monture pour mon héros; et il fallait que celui-ci e?t vécu deux mille ans; car, sans cela, comment aurait-il pu vous parler de Socrate, de Platon et d'Aristote, que vous aimez comme mon voyageur.... D'ailleurs, pourquoi repousseriez-vous mes éléphans? Ils ne sont pas utiles au seul lunian, puisqu'ils peuvent offrir des le?ons à l'humanité.
Mais, direz-vous, vous montrez cet événement arrivé à paris, il y a seulement quelques années; et nul des habitans de cette ville n'a vu votre voyageur? Lecteur, voit-on toujours, et est-il dit qu'on puisse toujours voir? Vous auriez peut-être préféré que j'eusse choisi pour ma scène, Babylone, Cachemire, Ispahan ou Bassora: mais j'ai pensé que le nom de la scène ne faisait rien lorsqu'on ne pouvait déguiser entièrement l'action; ce qui m'a paru impossible, les moeurs des Babyloniens, Indiens, Persans, etc., s'opposant à un parallèle exact et vraisemblable.
Lecteur, si ne vous arrêtant point sur les choses utiles que dit et fait mon voyageur, si vous fixant seulement sur les accessoires, et oubliant vos jugemens passés, vous balanciez à regarder mon livre d'un oeil favorable, je mettrais sous vos yeux, pour vous décider, trois observations plus déterminantes; et qui sont devenues des maximes de l'art et de la morale. Je vous dirais, avec le Tasse, qui l'a répété, d'après les anciens les plus habiles à transmettre les le?ons utiles aux hommes; qu'il faut emmieller les bords du vase amer. Je vous dirais avec les peintres, qu'il faut quelquefois montrer des plantes agréables sur les rochers: enfin je vous observerais, que l'expérience, plus forte que les raisonnemens, prouve qu'il faut des hochets aux enfans; et qu'avec les hochets on peut encore les instruire.
Malgré tout ce que je vous ai dit, lecteur, je crois entendre répéter autour de mon livre le mot niaiserie, si familier dans la bouche de certaines gens. Permettez qu'avant d'en venir à mon voyageur, nous discutions un peu sur ce mot, dont il me semble qu'on s'occupe trop lorsqu'il faut l'appliquer, et trop peu lorsqu'il faut l'analyser.
Le mot de niaiserie est, sans-doute, dans l'acception qu'on lui donne depuis long-tems, synonime de sottise; et la sottise annonce dans l'objet auquel on l'applique, soit personne, soit écrit, l'absence du jugement et de la raison. Il ne peut pas être applicable à l'ignorance des usages du monde; car ce terme ne serait plus offensant, et ne porterait point atteinte à l'opinion d'un homme ni à son écrit. Le cercle de la raison, vous le pensez comme moi, n'est pas circonscrit dans le cercle du monde: on peut être éclairé, sage, et même grand, sans conna?tre ses préjugés, son ton, ses modes, sa politique sociale, ses manies, etc.... Eh! comment pouvoir faire l'application de ce mot au particulier, lorsque tout, sur la terre, est réputé niaiserie au général. Lecteur, veuillez-bien me suivre un instant; vous serez convaincu, lorsque vous aurez envisagé le tableau que je vais mettre sous vos yeux; et où vous, moi et tous nos pareils allons figurer; car tous les hommes de l'univers se traitent mutuellement de niais.... Commen?ons par nous, et voyons nos grands écrivains, prenant les couleurs des mains des voyageurs, ou autres personnages étrangers, comme Usbeck, Zadig, etc., y tracer les premiers traits.
N'ont-ils pas appelé des niaiseries, nos bals masqués, nos félicitations du jour de l'an; nos visites d'étiquette, les discours de nos sociétés, les soins de nos petits ma?tres et de nos petites ma?tresses à ne pomponer et à
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