Une fête de Noël sous Jacques Cartier | Page 3

Ernest Myrand
du pays.
Le travail archéologique se réduit maintenant à la peine de lire.
En effet, les chercheurs bibliophiles de notre Histoire du Canada, Fribault, Jacques Viger, Laverdière, Holmes, Papineau, Sir Lafontaine, parmi les morts, les abbés Bois, Raymond Casgrain, Tanguay, Verreault, Messieurs Joseph Charles Taché, Douglas Brymner, Benjamin Sulte, James Lemoine, parmi les vivants, ont taillé toute la besogne, parachevé la tache avant même que nous jeunes gens, fussions sortis du collège.
Le vénérable doyen de notre littérature canadienne-fran?aise, l'Honorable M. Chauveau, a publié, dans son Introduction aux Jugements et Délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle France, une nomenclature aussi complète qu'intéressante des principales archives relevées au pays depuis quarante ans, et en particulier dans la province de Québec.
Hélas! les archives de notre histoire, nos belles et glorieuses archives, imprimées sur papier de luxe avec du caractère antique, reliées à grands frais, tranchées d'or ou de carmin, continuent aujourd'hui, sur les rayons de nos bibliothèques publiques, le sommeil de mort qu'elles dormaient autrefois dans la poussière des greniers ou l'humidité des caves, alors qu'elles étaient seulement de vieux manuscrits, des parchemins racornis, des bouquins noirs et luisants, livrés à la merci des ménagères qui les utilisaient à allumer le feu. [1]
[Note 1: Je me rappelle que ce fut dans le fond d'une boite à bois que l'on découvrit un des volumes du Journal des Jésuites, le seul qui ait échappé au même usage. L'autre ou les autres volumes ont eu l'honneur de griller les poulets ou mêler leurs cendres vénérables aux tisons moins historiques d'une b?che d'érable ou d'un rondin de merisier!
Pour atténuer, sinon excuser, notre criminelle incurie, il convient d'ajouter qu'en France aussi bien qu'au Canada, les archéologues se plaignent amèrement de ces désastreuses négligences. Ecoutez ce qu'en dit un archiviste célèbre:
Que de précieux documents ont allumé la pipe d'un goujat! Que de nobles parchemins, au bas desquels était la signature d'un roi, ont couvert les pots de conserves de femmes de préfets, bonnes ménagères qui les faisaient prendre dans les greniers de la préfecture... Je n'en dis pas davantage et je ne nomme personne; il n'est pas besoin d'autres exemples que ceux auxquels je fais allusion, et que je connais, pour montrer que les parchemins qui ont servi à faire des gargousses, et par cela même, à faire de l'histoire nouvelle, n'ont pas eu la destinée la plus triste.
Pierre Margry, Découvertes fran?aises, 40 et 41.]
Une poussière d'oubli, froide et silencieuse comme la neige, tombe sur elles, tombe encore, tombe toujours, les recouvre, les ensevelit sous l'épaisseur ténébreuse d'un linceul et menace de les cacher à jamais aux regards des hommes, de les faire dispara?tre, comme des cadavres de voyageurs morts de froid, sous l'uniforme niveau, l'égalité fatale de la steppe.
Et cependant quel labeur colossal, quels argents, quelles études n'ont-elles pas co?té aux bibliophiles, aux chroniqueurs, aux archéologues, aux historiens qui ont eu l'héro?que courage, la patriotique vaillance de publier en éditions d'honneur, les manuscrits originaux, les annales primitives de la Colonie! Par contre, combien apparaissent mesquins désespérants, ironiques, misérablement petits, les résultats obtenus comparés à l'effort gigantesque apporté au parachèvement d'une aussi monumentale entreprise!
Nos archives nationales! Elles ont cependant porté bonheur aux littérateurs de la génération précédente. Elles ont porté bonheur au regretté Louis P. Turcotte, le vaillant auteur du Canada sous l'Union (1841-1867), au romancier Joseph Marmette, qui leur doit Fran?ois de Bienville, son meilleur ouvrage; elles ont porté bonheur à notre érudit compatriote canadien anglais William Kirby, l'auteur du roman fameux Le Chien d'Or, merveilleuse légende canadienne fran?aise que les écrivains de la Province de Québec ont laissé échapper de leur répertoire... faute d'études archéologiques.
* * *
Ce procédé, qui donne à l'histoire le coloris de la légende et l'intrigue du roman, n'est pas neuf: le Cinq Mars d'Alfred de Vigny en est un frappant exemple. Son autre célèbre ouvrage, Stello, n'est rien que la trilogie biographique des po?tes Gilbert, Chatterton et André Chénier. Mais, dans cette littérature apparemment légère par le titre et le mécanisme des moyens, quel butin de connaissances et de souvenirs historiques!
Ce procédé, les nouvellistes de notre littérature canadienne fran?aise l'ont employé avec un succès relativement considérable et de vogue et d'argent. L'histoire du Canada en a retiré un étonnant profit de vulgarisation. Les compositions de Marmette, de DeGaspé, de Bourassa, de Kirby, de Leprohon de John Lespérance, lui ont valu un peu de cette popularité que l'on envie, à juste titre, aux oeuvres artistiques, scientifiquement littéraires de Jules Verne, Arthur Mangin, Camille Flammarion et autres lettrés, partisans déguisés des sciences exactes auprès de la jeunesse frivole qui passe en badinant à travers un cours d'études.
Pour combien d'intelligentes et spirituelles lectrices la grande et martiale figure de Louis de Buade comte de Frontenac f?t demeurée aussi inconnue qu'étrangère sans la lecture de Bienville? C'est un portrait coloré, si l'on veut, mais un portrait vivant, un
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