Un amour vrai | Page 2

Laure Conan
ame, et, comme je me rends compte que je m'occupe un peu trop de lui, chaque fois que je rencontrais son regard ma timidit�� augmentait. J'avais beau me dire que je ne suis pas transparente, je ne pus parvenir �� me le persuader. Il est certain que je ne vous ai pas fait honneur. M. Douglas, qui ��tait, lui, parfaitement �� l'aise, essaya plusieurs fois d'engager la conversation avec moi, et ne r��ussit pas, comme vous le pensez bien. Mais si je ne parlais pas assez, j'ai la consolation de dire que d'autres parlaient trop. Deux dames s'aventur��rent dans une dissertation sentimentale avec un galant officier. Vous vous imaginez facilement que cette dissertation n'a pas jet�� qu'un peu de lumi��re dans les ab?mes du coeur humain.
J'allais entrer dans ma chambre, quand la brillante Mlle X... me dit avec une satisfaction mal d��guis��e: "Th��r��se, ma ch��re, comme vous ��tiez gauche et embarrass��e ce soir! Quelle opinion vous allez donner des Canadiennes �� ce s��duisant ��tranger!" Soyez fi��re de moi, apr��s cela. Mais n'importe. Si le feu prend cette nuit �� l'h?tel, j'esp��re que ce sauveur de vieilles veuves paralys��es ne me laissera pas br?ler.
(La m��me �� la m��me.)
Malbaie le 23 juin 186
Ch��re m��re,
J'en veux et j'en voudrai longtemps �� ces maussades affaires qui vous retiennent loin de moi. M��me je ne suis pas s?re de ne pas vous en vouloir un peu. Aux quatre vents du ciel les obstacles! Croyez-moi, tout est vanit��, �� part marcher sur la mousse et respirer le satin. Descendez vite. Il me tarde de vous faire les honneurs de la Malbaie. Kamouraska a bien ses agr��ments. J'ai un faible pour Tadoussac, pour ses souvenirs, pour sa jolie baie, grande comme une coquille, mais la Malbaie ne se compare point.
Cette belle des belles a des contrastes, des surprises, des caprices ��tranges et charmants. Nulle part je n'ai vu une pareille vari��t�� d'aspects et de beaut��s. Le grandiose, le joli, le pittoresque, le doux, la magnificence sauvage, la grace riante se heurtent, se m��lent d��licieusement, harmonieusement, dans ces paysages incomparables.
? mon beau Saint-Laurent! ? mes belles Laurentides! ? mon cher Canada! Excusez ce lyrisme: c'est demain notre f��te nationale.
La Malbaie n'a qu'un d��faut, l'affluence des ��trangers. Si j'��tais reine, je me contenterais de cette campagne enchant��e pour mon royaume, mais j'en d��fendrais l'entr��e d'abord �� toutes celles qui lisent des romans, ensuite �� tous ceux qui se croient qualifi��s pour gouverner et r��former leur pays. Qu'en dites-vous? Mais en attendant, c'est un bruit, un mouvement, un va-et-vient continuel.
Les ��trangers n'ont ici que l'obligation de ne rien faire. Aussi, comme on s'y prom��ne. Tous les jours, pique-niques, parties de plaisir de toutes sortes et bals le soir. Pour moi, je donnerais tous les pique-niques pass��s, pr��sents et futurs, tous les bals impromptus et pr��par��s, pour un bain de mer.
Je vais tous les matins �� la messe, ordinairement par la gr��ve, ce qui est fort agr��able. L'��glise est batie sur le fleuve, �� l'embouchure de la rivi��re Malbaie. C'est un fort beau site. En face, la baie,--cette charmante baie que l'on compare �� celle de Naples,--�� droite des champs magnifiques, une hauteur richement bois��e, o�� chantent les oiseaux et les brises d'��t��; �� gauche, la rivi��re, puis le Cap-��-l'Aigle, sauvage et gracieux, et en arri��re les montagnes vertes et bleues qui ferment l'horizon. L'��glise est bien entretenue.
"_Le si��cle avait deux ans_" lorsqu'on a commenc�� �� la construire. C'est jeune encore pour une ��glise. Pourtant les hirondelles l'affectionnent, car les nids s'y touchent, et, en levant les yeux, on aper?oit toujours quelque jolie petite t��te qui s'avance curieusement au dehors.
Je suppose qu'il faut bien vous parler un peu de M. Douglas. Il est assez probable que je m'occupe de lui plus qu'il ne faudrait; mais, outre que je n'en dis rien, je ne fais en cela que comme tout le monde. Je n'ai dit qu'�� Mme L... que M. Douglas est le h��ros de l'incendie de l'h?tel. Elle m'a conseill�� de garder sagement le silence l��-dessus. Elle pr��tend qu'il est assez dangereux sans l'aur��ole de l'h��ro?sme.
Vous, m��re ch��rie, vous pr��tendez que c'est un grand dommage que ce noble jeune homme ne soit pas tr��s laid, ou un peu difforme. Avec votre permission, madame, c'est justement cela qui serait dommage. Ch��re m��re, c'est prudent peut-��tre, ce que vous dites, mais �� coup s?r, ce n'est pas f��minin. D'ailleurs, si M. Douglas est de la famille des braves, il n'est pas de celle des galants, et n'accorde d'attention que juste ce qu'il faut pour n'��tre pas impoli. Il d��cline toutes les invitations et a l'air de s'��tre dit comme un po��te:
�� moi la gr��ve solitaire, La chasse au beau soleil levant, �� moi les bois pleins de myst��re, La p��che au bord du lac dormant.
Mme H... a d��clar�� que nous devrions toutes conclure
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