Tartarin sur les Alpes | Page 2

Alphonse Daudet
��gar��e, puis pour un r��tameur charg�� de ses ustensiles.
A dix pas, l'apparition changea encore et montra l'arbal��te l'��paule, le casque �� visi��re baiss��e d'un archer du moyen age, encore plus invraisemblable �� rencontrer sur ces hauteurs qu'une vache ou qu'un ambulant.
Au perron, l'arbal��trier ne fut plus qu'un gros homme, trapu, rabl��, qui s'arr��tait pour souffler, secouer la neige de ses jambi��res en drap jaune comme sa casquette, de son passe-montagne tricot�� ne laissant gu��re voir du visage que quelques touffes de barbe grisonnante et d'��normes lunettes vertes, bomb��es en verres de st��r��oscope. Le piolet, l'alpenstock, un sac sur le dos, un paquet de cordes en sautoir, des crampons et crochets de fer �� la ceinture d'une blouse anglaise �� larges pattes compl��taient le harnachement de ce parfait alpiniste.
Sur les cimes d��sol��es du Mont-Blanc ou du Finsteraarhorn, cette tenue d'escalade aurait sembl�� naturelle; mais au Rigi-Kulm, �� deux pas du chemin de fer!
L'Alpiniste, il est vrai, venait du c?t�� oppos�� �� la station, et l'��tat de ses jambi��res t��moignait d'une longue marche dans la neige et la boue.
Un moment il regarda l'h?tel et ses d��pendances, stup��fait de trouver �� deux mille m��tres au-dessus de la mer une batisse de cette importance, des galeries vitr��es, des colonnades, sept ��tages de fen��tres et le large perron s'��talant entre deux rang��es de pots �� feu qui donnaient �� ce sommet de montagne l'aspect de la place de l'Op��ra par un cr��puscule d'hiver.
Mais si surpris qu'il p?t ��tre, les gens de l'h?tel le paraissaient bien davantage, et lorsqu'il p��n��tra dans l'immense antichambre, une pouss��e curieuse se fit �� l'entr��e de toutes les salles: des messieurs arm��s de queues de billard, d'autres avec des journaux d��ploy��s, des dames tenant leur livre ou leur ouvrage, tandis que tout au fond, dans le d��veloppement de l'escalier, des t��tes se penchaient par-dessus la rampe, entre les cha?nes de l'ascenseur.
L'homme dit haut, tr��s fort, d'une voix de basse profonde, un ?creux du Midi? sonnant comme une paire de cymbales:
?Coquin de bon sort! En voil�� un temps!...
Et tout de suite il s'arr��ta, quitta sa casquette et ses lunettes.
Il suffoquait.
L'��blouissement des lumi��res, le chaleur du gaz, des calorif��res, en contraste avec le froid noir du dehors, puis cet appareil somptueux, ces hauts plafonds, ces portiers chamarr��s avec ?REGINA MONTIUM? en lettres d'or sur leurs casquettes d'amiraux, les cravates blanches des ma?tres d'h?tel et le bataillon des Suissesses en costumes nationaux accouru sur un coup de timbre, tout cela l'��tourdit une seconde, pas plus d'une.
Il se sentit regard�� et, sur-le-champ, retrouva son aplomb, comme un com��dien devant les loges pleines.
?Monsieur d��sire?...
C'��tait le g��rant qui l'interrogeait du bout des dents, un g��rant tr��s chic, jaquette ray��e, favoris soyeux, une t��te de couturier pour dames.
L'Alpiniste, sans s'��mouvoir, demanda une chambre, ?une bonne petite chambre, au moins?, �� l'aise avec ce majestueux g��rant comme avec un vieux camarade de coll��ge.
Il fut par exemple bien pr��s de se facher quand la servante bernoise, qui s'avan?ait un bougeoir �� la main, toute raide dans son plastron d'or et les bouffants de tulle de ses manches, s'informa si monsieur d��sirait prendre l'ascenseur. La proposition d'un crime �� commettre ne l'e?t pas indign�� davantage.
--Un ascenseur, �� lui!... �� lui!... Et son cri, son geste, secou��rent toute sa ferraille.
Subitement radouci, il dit �� la Suissesse d'un ton aimable: ?_Pedibusse cum jambis_se, ma belle chatte...? et il monta derri��re elle, son large dos tenant l'escalier, ��cartant les gens sur son passage, pendant que par tout l'h?tel courait une clameur, un long ?Qu'est-ce que c'est que ?a?? chuchot�� dans les langues diverses des quatre parties du monde. Puis le second coup du d?ner sonna, et nul ne s'occupa plus de l'extraordinaire personnage.
Un spectacle, cette salle �� manger du Rigi-Kulm.
Six cents couverts autour d'une immense table en fer �� cheval o�� des compotiers de riz et de pruneaux alternaient en longues files avec des plantes vertes, refl��tant dans leur sauce claire ou brune les petites flammes droites des lustres et les dorures du plafond caissonn��.
Comme dans toutes les tables d'h?te suisses, ce riz et ces pruneaux divisaient le d?ner en deux factions rivales, et rien qu'aux regards de haine ou de convoitise jet��s d'avance sur les compotiers du dessert, on devinait ais��ment �� quel parti les convives appartenaient. Les Riz se reconnaissaient �� leur paleur d��faite, les Pruneaux �� leurs faces congestionn��es.
Ce soir-l��, les derniers ��taient en plus grand nombre, comptaient surtout des personnalit��s plus importantes, des c��l��brit��s europ��ennes, telles que le grand historien Astier-R��hu, de l'Acad��mie fran?aise, le baron de Stoltz, vieux diplomate austro-hongrois, lord Chipendale (?), un membre du Jockey-Club avec sa ni��ce (hum! hum!), l'illustre docteur-professeur Schwanthaler, de l'Universit�� de Bonn, un g��n��ral p��ruvien et ses huit demoiselles.
A quoi les Riz ne pouvaient gu��re opposer comme grandes vedettes qu'un s��nateur belge et sa famille, Mme Schwanthaler, la femme du professeur, et
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