Simon | Page 3

George Sand
eu l'intention de mordre les enfants du village.
Mais l'artifice tourna contre son auteur; les fr��res Mathieu comprirent bient?t de quoi il s'agissait. Paysans eux-m��mes, et paysans marchois, qui plus est, ils savaient les ruses de la guerre. Ils commenc��rent par lacher pied, et, quittant leur habitation de Foug��res, ils s'all��rent fixer dans une autre propri��t�� qu'ils avaient pr��s de la ville. De cette mani��re, les vexations eurent moins d'ardeur, ne tombant plus directement sur les objets d'animadversion qu'on voulait expulser. Les paysans continu��rent �� faire un peu de pillage, dans un pur esprit de rapine, ayant pris go?t �� la chose. Mais les Mathieu se souci��rent m��diocrement d'un d��ficit momentan�� dans leurs revenus; ce d��ficit d?t-il durer deux ou trois ans, ils se promirent de le faire payer cher �� M. le comte, et se r��jouirent de voir les habitants de Foug��res contracter des habitudes de filouterie qu'il ne leur serait pas facile d��sormais de perdre et dont leur nouveau seigneur serait la premi��re victime.
Les n��gociations dur��rent quatre ans, et M. de Foug��res dut s'estimer heureux de payer sa terre cent mille francs au-dessus de sa valeur. L'avou�� Parquet lui ��crivit: ?Hatez-vous de les prendre au mot, car, si vous tardez un peu, ils en demanderont le double.? Le comte se soumit, et le contrat fut r��dig��.

II.
Parmi le petit nombre des vieux partisans de la libert�� qui voyaient d'un mauvais oeil et dans un triste silence le retour de l'ancien seigneur, il y avait un personnage remarquable, et dont, pour la premi��re fois peut-��tre, dans le cours de sa longue carri��re, l'influence se voyait m��connue. C'��tait une femme ag��e de soixante-dix ans, et courb��e par les fatigues et les chagrins plus encore que par la vieillesse. Malgr�� son existence d��bile, son visage avait encore une expression de vivacit�� intelligente, et son caract��re n'avait rien perdu de la fermet�� virile qui l'avait rendue respectable �� tous les habitants du village. Cette femme s'appelait Jeanne F��line; elle ��tait veuve d'un laboureur, et n'avait conserv�� d'une nombreuse famille qu'un fils, dernier enfant de sa vieillesse, faible de corps, mais dou�� comme elle d'une noble intelligence. Cette intelligence, qui brille rarement sous le chaume, parce que les facult��s ��lev��es n'y trouvent point l'occasion de se d��velopper, avait su se faire jour dans la famille F��line. Le fr��re de Jeanne, de simple patre, ��tait devenu un pr��tre aussi estimable par ses moeurs que par ses lumi��res. Il avait laiss�� une m��moire honorable dans le pays, et le mince h��ritage de douze cents livres de rente �� sa soeur, ce qui pour elle ��tait une v��ritable fortune. Se voyant arriv��e �� la vieillesse, et n'ayant plus qu'un enfant peu propre par sa constitution �� suivre la profession de ses p��res, Jeanne lui avait fait donner une ��ducation aussi bonne que ses moyens l'avaient permis. L'��cole du village, puis le coll��ge de la ville avaient suffi au jeune Simon pour comprendre qu'il ��tait destin�� �� vivre de l'intelligence et non d'un travail manuel; mais lorsque sa m��re voulut le faire entrer au s��minaire, la bonne femme n'appr��ciant, dans sa pi��t��, aucune vocation plus haute que l'��tat religieux, le jeune homme montra une invincible r��pugnance, et la supplia de le laisser partir pour quelque grande ville o�� il p?t achever son ��ducation et tenter une autre carri��re. Ce fut une grande douleur pour Jeanne; mais elle c��da aux raisons que lui donnait son fils.
?J'ai toujours reconnu, lui dit-elle, que l'esprit de sagesse ��tait dans notre famille. Mon p��re fut un homme sage et craignant Dieu. Mon fr��re a ��t�� un homme sage, instruit dans la science et aimant Dieu. Vous devez ��tre sage aussi, quand les ��preuves de la jeunesse seront finies. Je pense donc que votre dessein vous est inspir�� par le bon ange. Peut-��tre aussi que la volont�� divine n'est pas de laisser finir notre race. Vous en ��tes le dernier rejeton; c'��tait peut-��tre un d��sir t��m��raire de ma part que celui de vous engager dans le c��libat. Sans doute, les moindres familles sont aussi pr��cieuses devant Dieu que les plus illustres, et nul homme n'a le droit de tarir dans ses veines le sang de sa lign��e, s'il n'a des fr��res ou des soeurs pour la perp��tuer. Allez donc o�� vous voulez, mon fils, et que la volont�� d'en haut soit faite.?
Ainsi parlait, ainsi pensait la m��re F��line. C'��tait une noble cr��ature, vraiment religieuse, et n'ayant d'une paysanne que le costume, la frugalit�� et les laborieuses habitudes; ou plut?t c'��tait une de ces paysannes comme il a d? en exister beaucoup avant que les moeurs patriarcales eussent ��t�� remplac��es par l'age de fer de la corruption et de la servitude. Mais cet age d'or a-t-il jamais exist�� lui-m��me?
Jeanne ��tait n��e sage et droite; son fr��re, l'abb�� F��line, l'avait perfectionn��e par ses exemples et par ses
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