Promenades et intérieurs | Page 2

Francois Coppée
s'en vont tous, portant de
lourds enfants qui geignent, Tandis qu'en infectant des lampions
s'éteignent.
On n'entend que le rythme inquiétant des pas;
Le ciel
est rouge; et c'est sinistre, n'est-ce pas?
Ce fourmillement noir dans
ces étroites rues
Qu'assombrit le regret des splendeurs disparues!

C'est un boudoir meublé dans le goût de l'Empire,
Jaune, tout en
velours d'Utrecht. On y respire
Le charme un peu vieillot de
l'Abbaye-aux-Bois:
Croix d'honneur sous un verre et petits meubles
droits,
Deux portraits, -- une dame en turban qui regarde
Un
pompeux colonel des lanciers de la garde
En grand costume, peint par
le baron Gérard, --
Plus une harpe auprès d'un piano d'Érard,
Qui
dut accompagner bien souvent, j'imagine,
Ce qu'Alonzo disait à la

tendre Imogine.

Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère
Sans doute par les
nuits d'été, quand l'atmosphère
S'emplit de l'odeur forte et tiède des
jardins;
Mais j'aime aussi vos bals en plein vent d'où, soudains,

S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
Les polkas, le hochet
des cruchons qu'on débouche,
Les gros verres trinquant sur les tables
de bois,
Et, parmi le chaos des rires et des voix
Et du vent fugitif
dans les ramures noires,
Le grincement rythmé des lourdes
balançoires.

Le Grand-Montrouge est loin, et le dur charretier
A mené sa voiture à
Paris, au chantier,
Pleine de lourds moellons, par les chemins de boue;

Et voici que, marchant à côté de la roue,
Il revient, écoutant, de
fatigue abreuvé,
Le pas de son cheval qui frappe le pavé.
Et moi,
j'envie, au fond de mon coeur, ce pauvre homme;
Car lui, du moins, il
a bon appétit, bon somme,
Il vit sa rude vie ainsi qu'un animal,
Et
l'automne qui vient ne lui fait pas de mal.

J'écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge.
Toute petite, en
noir, dans le grand fauteuil rouge,
Tranquille auprès du feu, ma vieille
mère est là;
Elle songe sans doute au mal qui m'exila
Loin d'elle,
l'autre hiver, mais sans trop d'épouvante,
Car je suis sage et reste au
logis, quand il vente.
Et puis, se souvenant qu'en octobre la nuit

Peut fraîchir, vivement et sans faire de bruit,
Elle met une bûche au
foyer plein de flammes.
Ma mère, sois bénie entre toutes les femmes!

Volupté des parfums! -- Oui, toute odeur est fée.
Si j'épluche, le soir,
une orange échauffée,
Je rêve de théâtre et de profonds décors;
Si je

brûle un fagot, je vois, sonnant leurs cors,
Dans la forêt d'hiver les
chasseurs faire halte;
Si je traverse enfin ce brouillard que l'asphalte

Répand, infect et noir, autour de son chaudron,
Je me crois sur un
quai parfumé de goudron,
Regardant s'avancer, blanche, une goélette

Parmi les diamants de la mer violette.

Noces du samedi! noces où l'on s'amuse,
Je vous rencontre au bois où
ma flâneuse Muse
Entend venir de loin les cris facétieux
Des
femmes en bonnet et des gars en messieurs
Qui leur donnent le bras
en fumant un cigare,
Tandis qu'en un bosquet le marié s'égare,

Souvent imberbe et jeune, ou parfois mûr et veuf,
Et tout fier de
sentir sur sa manche en drap neuf,
Chef-d'oeuvre d'un
tailleur-concierge de Montrouge,
Sa femme, en robe blanche, étaler
sa main rouge.

L'école. Des murs blancs, des gradins noirs, et puis
Un christ en bois
orné de deux rameaux de buis.
La soeur de charité, rose sous sa
cornette,
Fait la classe, tenant sous son regard honnête
Vingt
fillettes du peuple en simple bonnet rond.
La bonne soeur! Jamais on
ne lit sur son front
L'ennui de répéter les choses cent fois dites!
Et,
sur les premiers bancs, où sont les plus petites,
Elle ne veut pas voir
tous les yeux épier
Un hanneton captif marchant sur du papier.

Depuis que son garçon est parti pour la guerre,
La veuve met les deux
couverts comme naguère,
Sert la soupe, remplit un grand verre de vin,

Puis, sur le seuil, attend qu'un envoyé divin,
Un pauvre, passe là
pour qu'elle le convie.
Il en vient tous les jours. Donc son fils est en
vie,
Et la vieille maman prend sa peine en douceur.
Mais l'épicier
d'en face est un libre penseur
Et songe: -- «Peut-on croire à de telles
grimaces?
Les superstitions abrutissent les masses.»

Il a neigé la veille et, tout le jour, il gèle.
Le toit, les ornements de fer
et la margelle
Du puits, le haut des murs, les balcons, le vieux banc,

Sont comme ouatés, et, dans le jardin, tout est blanc.
Le grésil a
figé la nature, et les branches
Sur un doux ciel perlé dressent leurs
gerbes blanches.
Mais regardez. Voici le coucher de soleil.
À
l'occident plus clair court un sillon vermeil.
Sa soudaine lueur
féerique nous arrose,
Et les arbres d'hiver semblent de corail rose.

De la rue on entend sa plaintive chanson.
Pâle et rousse, le teint plein
de taches de son,
Elle coud, de profil, assise à sa fenêtre.
Très sage
et sachant bien qu'elle est laide peut-être,
Elle a son dé d'argent pour
unique bijou.
Sa chambre est nue, avec des meubles d'acajou.
Elle
gagne deux francs, fait de la lingerie
Et jette un sou quand vient
l'orgue de Barbarie.
Tous les voisins lui font leur bonjour le plus gai

Qui leur vaut son petit sourire fatigué.
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