Poésies | Page 3

Isidore Ducasse
A peine est-il entré dans l'âge mûr,
l'aristocrate anglais, que sa harpe se brise sous les murs de Missolonghi,
après n'avoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent l'opium
des mornes anéantissements.
Quoique plus grand que les génies ordinaires, s'il s'était trouvé de son
temps un autre poète, doué, comme lui, à doses semblables, d'une
intelligence exceptionnelle, et capable de se présenter comme son rival,
il aurait avoué, le premier, l'inutilité de ses efforts pour produire des
malédictions disparates; et que, le bien exclusif est, seul, déclaré digne,
de par la voix de tous les mondes, de s'approprier notre estime. Le fait
fut qu'il n'y eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce
qu'aucun n'a dit. Chose étrange! même en feuilletant les recueils et les
livres de son époque, aucun critique n'a songé à mettre en relief le
rigoureux syllogisme qui précède. Et ce n'est que celui qui le surpassera
qui peut l'avoir inventé. Tant on était rempli de stupeur et d'inquiétude,
plutôt que d'admiration réfléchie, devant des ouvrages écrits d'une main

perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes
d'une âme qui n'appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se
trouvait à son aise dans les conséquences dernières d'un des deux moins
obscurs problèmes qui intéressent les coeurs non-solitaires: le bien, le
mal. Il n'est pas donné à quiconque d'aborder les extrêmes, soit dans un
sens, soit dans un autre. C'est ce qui explique pourquoi, tout en louant,
sans arrière-pensée, l'intelligence merveilleuse dont il dénote à chaque
instant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de l'humanité, l'on
fait, en silence, ses nombreuses réserves sur les applications et l'emploi
injustifiables qu'il en a faits sciemment. Il n'aurait pas dû parcourir les
domaines sataniques.
La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des
Papavoine, des Byron, des Victor Noir et des Charlotte Corday sera
contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands criminels, à des
titres si divers, je les écarte d'un geste. Qui croit-on tromper ici, je le
demande avec une lenteur qui s'interpose? O dadas de bagne! Bulles de
savon! Pantins en baudruche! Ficelles usées! Qu'ils s'approchent, les
Konrad, les Manfred, les Lara, les marins qui ressemblent au Corsaire,
les Méphistophélès, les Werther, les Don Juan, les Faust, les Iago, les
Rodin, les Caligula, les Caïu, les Iridion, les mégères à l'instar de
Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de
cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées
de l'Hindoustan, le serpent, le crapaud et le crocodile, divinités,
considérées comme anormales, de l'antique Égypte, les sorciers et les
puissances démoniaques du moyen âge, les Prométhée, les Titans de la
mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomis par
l'imagination primitive des peuples barbares,--toute la série bruyante
des diables en carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la
cravache de l'indignation et de la concentration qui soupèse, et j'attends
ces monstres de pied ferme, comme leur dompteur prévu.
Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron,
sombres mystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler
Bicêtre. Leurs têtes crétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent
des fantômes gigantesques, qui descendent au lieu de monter. Exorcice
scabroux; gymnastique spécieuse. Passez donc, grotesque muscade. S'il

vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs, à la douzaine, de
rébus défendus, dans lesquels je n'apercevais pas auparavant, du
premier coup, comme aujourd'hui, le joint de la solution frivole. Cas
pathologique d'un égoïsme formidable. Automates fantastiques:
indiquez-vous du doigt, l'un à l'autre, mes enfants, l'épithète qui les
remet à leur place.
S'ils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient,
malgré leur intelligence avérée, mais fourbe, l'opprobre, le fiel, des
planètes qu'ils habiteraient la honte. Figurez-vous les, un instant, réunis
en société avec des substances qui seraient leurs semblables. C'est une
succession non interrompue de combats, dont ne rêveront pas les
boule-dogues, interdits en France, les requins et les

macrocéphales-cachalots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions
chaotiques pleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe,
effarée sans retour, s'enfuit à tire-d'aile. C'est un entassement de bêtes
apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'elles font. Ce sont des chocs de
passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à travers les hurlements
d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne ne
peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.
Mais, ils ne m'en imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on
peut s'en empêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les
souffrances d'une splendeur non équilibrée, c'est prouver, ô moribonds
des maremmes perverses! moins de résistance et de courage, encore.
Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dans mes
foyers déserts, glorieux espoir. Viens t'asseoir à mes côtés, enveloppé
du manteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements.
Comme un
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