Pour la patrie | Page 2

Jules-Paul Tardivel
cause catholique, du roman proprement
dit. Un ouvrage plus récent, _Jean-Christophe_, qui a également un
prêtre pour auteur, n'a fait que confirmer ma conviction. Puisqu'un père
jésuite et un curé ont si bien tourné une des armes favorites de Satan
contre la Cité du mal, je me crois autorisé à tenter la même aventure. Si
je ne réussis pas, il faudra dire que j'ai manqué de l'habileté voulue pour
mener l'entreprise à bonne fin; non pas que l'entreprise est impossible.

Un journal conservateur, très attaché au statu quo politique du Canada,
répondant un jour à la _Vérité_, s'exprimait ainsi: "L'aspiration est une
fleur d'espérance. Si l'atmosphère dans laquelle elle s'épanouit n'est pas
favorable, elle se dessèche et tombe; si, au contraire, l'atmosphère lui
convient, elle prend vigueur, elle est fécondée et produit un fruit; mais
si quelqu'un s'avise de cueillir ce fruit avant qu'il ne soit mûr, tout est
perdu. La maturité n'arrive qu'à l'heure marquée par la Providence, et il
faut avoir la sagesse d'attendre." [La Minerve, 11 septembre 1894.]
Dieu a planté dans le coeur de tout Canadien français patriote "une
fleur d'espérance." C'est l'aspiration vers l'établissement, sur les bords
du Saint-Laurent, d'une Nouvelle-France dont la mission sera de
continuer sur cette terre d'Amérique l'oeuvre de civilisation chrétienne
que la vieille France a poursuivi avec tant de gloire pendant de si longs
siècles. Cette aspiration nationale, cette fleur d'espérance de tout un
peuple, il lui faut une atmosphère favorable pour se développer, pour
prendre vigueur et produire un fruit. J'écris ce livre pour contribuer,
selon mes faibles moyens, à l'assainissement de l'atmosphère qui
entoure cette fleur précieuse; pour détruire, si c'est possible, quelques
unes des mauvaises herbes qui menacent de l'étouffer.
La maturité n'arrive qu'à l'heure marquée pas la divine Providence, sans
doute. Mais l'homme peut et doit travailler à empêcher que cette heure
providentielle ne soit retardée; il peut et doit faire en sorte que la
maturation se poursuive sans entraves. Accuse-t-on le cultivateur de
vouloir hâter indûment l'heure providentielle lorsque, le printemps, il
protège ses plants contre les vents et les gelées et concentre sur eux les
rayons du soleil?
Entre l'activité inquiète et fiévreuse du matérialiste qui, dans son
orgueil et sa présomption, ne compte que sur lui-même pour réussir, et
l'inertie du fataliste qui, craignant l'effort, se croise les bras et cherche à
se persuader que sa paresse n'est que la confiance en Dieu; entre ces
deux péchés opposés, et à égale distance de l'un et de l'autre, se place la
vertu chrétienne qui travaille autant qu'elle prie; qui plante, qui arrose
et qui attend de Dieu la croissance.
Que l'on ne s'étonne pas de voir que mon héros, tout en se livrant aux

luttes politiques, est non seulement un croyant mais aussi un pratiquant,
un chrétien par le coeur autant que par l'intelligence. L'abbé Ferland
nous dit, dans son histoire du Canada, que "dès les commencements de
la colonie, on voit la religion occuper partout la première place". Pour
atteindre parmi les nations le rang que la Providence nous destine, il
nous faut revenir à l'esprit des ancêtres et remettre la religion partout à
la première place; il faut que l'amour de la patrie canadienne-française
soit étroitement uni à la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ et au zèle
pour la défense de son Église. L'instrument dont Dieu se servira pour
constituer définitivement la nation canadienne-française sera moins un
grand orateur, un habile politique, ou un fougueux agitateur, qu'un
parfait chrétien qui travaille qui s'immole et qui prie: moins un Kossuth
qu'un Garcia Moreno.
Peut-être m'accusera-t-on de faire des rêves patriotiques qui ne
sauraient se réaliser jamais.
Ces rêves,--si ce ne sont que des rêves,--m'ont été inspirés par la lecture
de l'histoire de la Nouvelle-France la plus belle des temps modernes,
parce qu'elle est la plus imprégnée du souffle apostolique et de l'esprit
chevaleresque. Mais sont-ce purement des rêves? Ne peut-on pas y voir
plutôt des espérances que justifie le passé, des aspirations réalisables
vers un avenir que la Providence nous réserve, vers l'accomplissement
de notre destinée nationale?
Rêves ou aspirations, ces pensées planent sur les lieux que j'habite; sur
ces hauteurs, témoins des luttes suprêmes de nos pères; elles sortent de
ce sol qu'on arrosé de leur sang les deux races vaillantes que j'aime, je
puis le dire, également, parce qu'également j'appartiens aux deux.
Ma vie s'écoule entre les plaines d'Abraham et les plaines de
Sainte-Foye, entre le champ de bataille où les Français ont
glorieusement succombé et celui où glorieusement ils ont pris leur
revanche. Est-il étonnant que dans cette atmosphère que des héros ont
respirée, il me vienne des idées audacieuses; qu'en songeant aux luttes
de géants qui se sont livrées jadis ici pour la possession de la
Nouvelle-France, j'entrevoie pour cet enjeu de combats mémorables un
avenir glorieux? Est-il étonnant que, demeurant plus
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