Pages | Page 2

Stephane Mallarmé
les po?tes de ces temps, sentant se rallumer des yeux éteints, s'achemineront vers leur lampe, le cerveau ivre un instant d'une gloire confuse, hantés du Rythme et dans l'oubli d'exister à une époque qui survit à la beauté.

Plainte d'Automne
Depuis que Maria m'a quitté pour aller dans une autre étoile-- laquelle, Orion, Alta?r; est-ce toi verte Vénus?--j'ai toujours chéri la solitude. Que de longues journées j'ai passées seul avec mon chat. Par seul, j'entends sans un être matériel et mon chat est un compagnon mystique, un esprit. Je puis donc dire que j'ai passé de longues journées avec mon chat, et, seul, avec un des derniers auteurs de la décadence latine; car depuis que la blanche créature n'est plus, étrangement et singulièrement j'ai aimé tout ce qui se résumait en ce mot: chute. Ainsi, dans l'année, ma saison favorite, ce sont les derniers jours alanguis de l'été, qui précèdent immédiatement l'automne, et dans la journée l'heure où je me promène est quand le soleil se repose avant de s'évanouir, avec des rayons de cuivre jaune sur les murs gris et de cuivre rouge sur les carreaux. De même la littérature à laquelle mon esprit demande une volupté triste sera la poésie agonisante des derniers moments de Rome, tant, cependant, qu'elle ne respire aucunement l'approche rajeunissante des barbares et ne bégaie point le latin enfantin des premières proses chrétiennes.
Je lisais donc un de ces chers poèmes (dont les plaques de fard ont plus de charme sur moi que l'incarnat de la jeunesse) et plongeais une main dans la fourrure du pur animal, quand un orgue de Barbarie chanta languissamment et mélancoliquement sous ma fenêtre, ?l jouait dans la grande allée de peupliers dont les feuilles me paraissent jaunes même au printemps, depuis que Maria a passé là avec des cierges, une dernière fois. L'instrument des tristes, oui, vraiment: le piano scintille, le violon ouvre à l'ame déchirée la lumière, mais l'orgue de Barbarie, dans le crépuscule du souvenir, m'a fait désespérément rêver. Maintenant qu'il murmurait un air joyeusement vulgaire et qui mit la ga?té au coeur des faubourgs, un air suranné, banal: d'où vient que sa ritournelle m'allait au rêve et me faisait pleurer comme une ballade romantique? Je la savourai lentement et je ne lan?ai pas un sou par la fenêtre de peur de me déranger et de m'apercevoir que l'instrument ne chantait pas seul.

Frisson d'Hiver
Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonne treize heures parmi ses fleurs et ses dieux, à qui a-t-elle été? Pense qu'elle est venue de Saxe par les longues diligences, autrefois.
(De singulières ombres pendent aux vitres usées.)
Et ta glace de Venise, profonde comme une froide fontaine, en un rivage de guivres dédorées, qui s'y est miré? Ah! je suis s?r que plus d'une femme a baigné dans cette eau le péché de sa beauté; et peut-être verrais-je un fant?me nu si je regardais longtemps.
--Vilain, tu dis souvent de méchantes choses..
(Je vois des toiles d'araignées au haut des grandes croisées.)
Notre bahut encore est très vieux: contemple comme ce feu rougit son triste bois; les rideaux amortis ont son age, et la tapisserie des fauteuils dénués de fard, et les anciennes gravures des murs, et toutes nos vieilleries? Est-ce qu'il ne te semble pas, même, que les bengalis et l'oiseau bleu ont déteint avec le temps.
(Ne songe pas aux toiles d'araignées qui tremblent au haut des grandes croisées.)
Tu aimes tout cela et voilà pourquoi je puis vivre auprès de toi. N'as-tu pas désiré, ma soeur au regard de jadis, qu'en un de mes poèmes apparussent ces mots: ?la grace des choses fanées?? Les objets neufs te déplaisent; à toi aussi, ils font peur avec leur hardiesse criarde, et tu te sentirais le besoin de les user, --ce qui est bien difficile à faire pour ceux qui ne go?tent pas l'action.
Viens, ferme ton vieil almanach allemand, que tu lis avec attention, bien qu'il ait paru il y a plus de cent ans et que les rois qu'il annonce soient tous morts, et, sur l'antique tapis couché, la tête appuyée parmi tes genoux charitables dans ta robe palie, ? calme enfant, je te parlerai pendant des heures; il n'y a plus de champs et les rues sont vides, je te parlerai de nos meubles.. Tu es distraite?
(Ces toiles d'araignées grelottent au haut des grandes croisées.)

Le Démon de l'Analogie
Avez-vous jamais eu des paroles inconnues chantant sur vos lèvres les lambeaux maudits d'une phrase absurde?
Je sortis de mon appartement avec la sensation propre d'une aile glissant sur les cordes d'un instrument, tra?nante et légère, que rempla?a une voix pronon?ant les mots sur un ton descendant: ?La Pénultième est morte?, de fa?on que
La Pénultième
finit le vers et
Est morte
se détacha de la suspension fatidique plus inutilement en le vide de signification. Je fis des pas dans la rue et reconnus en le son nul
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 31
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.