Monsieur Lecoq, vol 1, Lenquete | Page 2

Emile Gaboriau
et ses subordonn��s ne l'ignoraient pas.
Sans doute il pensait qu'il rejaillissait sur sa personne quelque chose de la consid��ration attach��e �� ce grade.
--Si vous geignez d��j��, reprit-il de sa grosse voix, que sera-ce tout �� l'heure?
Dans le fait, il n'y avait pas encore trop �� se plaindre.
La petite troupe remontait alors la route de Choisy: les trottoirs ��taient relativement propres, et les boutiques des marchands de vins suffisaient �� ��clairer la marche.
Car tous les d��bits ��taient ouverts. Il n'est brouillard ni d��gel capables de d��courager les amis de la gaiet��. Le carnaval de barri��re se grisait dans les cabarets et se d��menait dans les bals publics.
Des fen��tres ouvertes, s'��chappaient alternativement des vocif��rations ou des bouff��es de musiques enrag��es. Puis, c'��tait un ivrogne qui passait festonnant sur la chauss��e, ou un masque crott�� qui se glissait comme une ombre honteuse, le long des maisons.
Devant certains ��tablissements, G��vrol commandait: halte! Il sifflait d'une fa?on particuli��re, et presque aussit?t un homme sortait. C'��tait un agent arrivant �� l'ordre. On ��coutait son rapport et on passait.
Peu �� peu, cependant, on approchait des fortifications. Les lumi��res se faisaient rares et il y avait de grands emplacements vides entre les maisons.
--Par file �� gauche, gar?ons! ordonna G��vrol; nous allons rejoindre la route d'Ivry et nous couperons ensuite au plus court pour gagner la rue du Chevaleret.
De ce point, l'exp��dition devenait r��ellement p��nible.
La ronde venait de s'engager dans un chemin �� peine trac��, n'ayant pas m��me de nom, coup�� de fondri��res, embarrass�� de d��combres, et que le brouillard, la boue et la neige rendaient p��rilleux.
D��sormais plus de lumi��re, plus de cabarets; ni pas, ni voix, rien, la solitude, les t��n��bres, le silence.
On se serait cru �� mille lieues de Paris, sans ce bruit profond et continu qui monte de la grande ville comme le mugissement d'un torrent du fond d'un gouffre.
Tous les agents avaient retrouss�� leur pantalon au-dessus de la cheville, et ils avan?aient lentement, choisissant tant bien que mal les places o�� poser le pied, un �� un, comme des Indiens sur le sentier de la guerre.
Ils venaient de d��passer la rue du Chateau-des-Rentiers, quand tout �� coup un cri d��chirant traversa l'espace.
A cette heure, en cet endroit, ce cri ��tait si affreusement significatif, que d'un commun mouvement tous les hommes s'arr��t��rent.
--Vous avez entendu, G��n��ral? demanda �� demi-voix un des agents.
--Oui, on s'��gorge certainement pr��s d'ici ... mais o��? Silence et ��coutons.
Tous rest��rent immobiles, l'oreille tendue, retenant leur souffle, et bient?t un second cri, un hurlement plut?t, retentit.
--Eh! s'��cria l'inspecteur de la s?ret��, c'est �� la _Poivri��re_.
Cette d��nomination bizarre disait �� elle seule et la signification du lieu qu'elle d��signait, et quelles pratiques le fr��quentaient d'habitude.
Dans la langue imag��e qui a cours du c?t�� du Montparnasse, on dit qu'un buveur est ?poivre? quand il a laiss�� sa raison au fond des pots. De l�� le sobriquet de ?voleurs au poivrier,? donn�� aux coquins dont la sp��cialit�� est de d��valiser les pauvres ivrognes inoffensifs.
Ce nom, cependant, n'��veillant aucun souvenir dans l'esprit des agents:
--Comment! ajouta G��vrol, vous ne connaissez pas le cabaret de chez la m��re Chupin, l��-bas, �� droite... Au galop, et gare aux billets de parterre!
Donnant l'exemple, il s'��lan?a dans la direction indiqu��e, ses hommes le suivirent, et en moins d'une minute, ils arriv��rent �� une masure sinistre d'aspect, batie au milieu de terrains vagues.
C'��tait bien de ce repaire que partaient les cris, ils avaient redoubl�� et avaient ��t�� suivis de deux coups de feu.
La maison ��tait herm��tiquement close, mais par des ouvertures en forme de coeur, pratiqu��es aux volets, filtraient des lueurs rougeatres comme celles d'un incendie.
Un des agents se pr��cipita vers une des fen��tres, et s'enlevant �� la force des poignets, il essaya de voir par les d��coupures ce qui se passait �� l'int��rieur.
G��vrol, lui, courut �� la porte.
--Ouvrez!... commanda-t-il, en frappant rudement. Pas de r��ponse.
Mais on distinguait tr��s-bien les tr��pignements d'une lutte acharn��e, des blasph��mes, un rale sourd et par intervalles des sanglots de femme.
--Horrible!... fit l'agent cramponn�� au volet, c'est horrible!
Cette exclamation d��cida G��vrol.
--Au nom de la loi!... cria-t-il une troisi��me fois.
Et personne ne r��pondant, il recula, prit du champ, et d'un coup d'��paule qui avait la violence d'un coup de b��lier, il jeta bas la porte.
Alors fut expliqu�� l'accent d'��pouvante de l'agent qui avait coll�� son oeil aux d��coupures des volets.
La salle basse de la _Poivri��re_ pr��sentait un tel spectacle, que tous les employ��s de la s?ret�� et G��vrol lui-m��me demeur��rent un moment clou��s sur place, glac��s d'une indicible horreur.
Tout, dans le cabaret, trahissait une lutte acharn��e, une de ces sauvages ?batteries? qui trop souvent ensanglantent les bouges des barri��res.
Les chandelles avaient d? ��tre ��teintes d��s le commencement de la bagarre, mais un grand feu clair de planches de sapin illuminait jusqu'aux moindres recoins.
Tables, verres, bouteilles, ustensiles de m��nage, tabourets d��paill��s, tout ��tait renvers��, jet�� p��le-m��le, bris��, pi��tin��, hach�� menu.
Pr��s de
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