Moeurs et coutumes des Français dans les différents temps de la monarchie | Page 2

Tacitus
si pesantes, que nous ne pourrions plus y tenir. Aujourd'hui,
dit-on, il ne faut que de la valeur; avec cette seule qualité on est sûr de
vaincre. Il est vrai que dans une action, dans une bataille, la supériorité
du courage peut assurer la victoire; mais, à la guerre, n'y a-t-il que des
combats? Combien de fatigues n'a-t-on pas à essuyer continuellement!
La valeur suffit-elle pour résister à des marches longues et pénibles,
quand il s'agit de passer plusieurs jours et plusieurs nuits sous les armes,
quand il faut se frayer une route à travers des lieux presque
inaccessibles? Un écrivain qui dit éloquemment des vérités fortes fait
cette objection aux Français: «Comme les Carthaginois, vous eussiez
été vainqueurs à Trébie, à Cannes, à Trasimène; mais vous n'eussiez
point franchi les Alpes.» Les fatigues font plus périr de nos troupes que
le fer des ennemis. Quelle impression ne fait pas sur nous le seul
changement de climat! Nous n'en avons que trop fait l'épreuve dans
toutes nos guerres en Italie.
Il est donc plus important qu'on ne pense de se fortifier le corps de
bonne heure et de l'endurcir par le travail. Il n'est pas douteux que les
exercices auxquels on façonne notre jeunesse pourraient nous former
des corps robustes, si l'on n'y cherchait moins à se procurer des
avantages solides qu'à se donner des grâces et des agréments.
Les Français ont conservé beaucoup de rapports avec les Germains;
mais c'est à l'endroit de l'inconstance. Ces peuples, au dire de Tacite,
étaient incapables d'un long travail, et n'avaient que le premier feu; c'est
aussi le reproche qu'on nous fait avec assez de fondement. Nous

sommes terribles au début d'un combat; il faut que nous ravissions la
victoire; car, si nous la disputons longtemps, nous courons risque de la
perdre. Il y a cependant eu des occasions où nous avons fait voir autant
de fermeté que de valeur; on nous a vus essuyer tranquillement le feu
des ennemis, attendre le moment favorable pour attaquer, et après
plusieurs actions meurtrières, revenir à la charge avec plus d'ardeur que
jamais. Mais, quoique ces sortes d'exemples ne soient pas rares chez
nous, il faut convenir que le caractère distinctif de notre valeur est
l'impétuosité du premier choc.
Le faste qui règne aujourd'hui parmi nos troupes présente un tableau
bien différent de la simplicité guerrière, conservée avec tant de soin
chez les Germains et les Gaulois. Ils ne dépensaient rien en parures;
tout leur luxe consistait a peindre leurs boucliers avec quelque couleur
éclatante. Malgré l'obligation qu'on impose aux officiers de ne paraître
qu'avec l'habit de leur régiment, surtout en temps de guerre, quels
riches vêtements ne portent-ils pas quelquefois sous un modeste
uniforme? C'est en vain que nos rois ont fait de sages règlements pour
réprimer le luxe militaire: on y étale une magnificence, un goût de
somptuosité très-préjudiciables à la discipline et à la promptitude des
opérations. Tous les jours les officiers se plaignent qu'ils se ruinent au
service; mais, n'est-ce pas à eux-mêmes qu'ils doivent s'en prendre?
Leur paye suffirait à leurs besoins, si les tentations et les superfluités ne
multipliaient mal à propos leurs dépenses. La simplicité qui régnait
dans les vêtements des Germains faisait aussi le caractère distinctif du
reste de la nation; si le défaut contraire a gagné les cours et les armées
en Allemagne, du moins le gros de la nation paraît encore retenir de ce
côté-là bien des usages venant de ses ancêtres.
Les Germains n'osaient paraître en public sans avoir leurs armes; ils ne
les quittaient pas même dans leurs maisons, ou plutôt sous leurs
cabanes; mais ils ne pouvaient les porter que quand ils étaient parvenus
à l'âge viril; et ils ne commençaient jamais à les prendre que de
l'agrément du chef de leur canton. C'était un des principaux de la nation
ou un des plus proches parents du novice guerrier qui lui donnait
publiquement ses premières armes; et c'est vraisemblablement de cette
ancienne coutume qu'est dérivé l'établissement de la chevalerie en

France, ou la cérémonie de l'accolade. On ne recevait pas
indistinctement, chez nous, toutes sortes de personnes dans l'ordre des
chevaliers: c'était la plus haute dignité où pût aspirer un militaire; il
fallait être d'une illustre extraction pour parvenir à cet honneur. La
chevalerie avait des lois auxquelles les princes et les rois eux-mêmes se
soumettaient sans répugnance.
On ne montait aux grades militaires chez les Germains, qu'après avoir
donné des preuves de valeur; les soldats se disputaient à qui occuperait
le premier rang et combattrait le plus près du prince; c'était une honte
pour le chef de la nation de n'être pas le premier à charger l'ennemi, et
un déshonneur pour les soldats de ne pas seconder le courage de leur
commandant. La principale force de leurs armées consistait dans
l'infanterie, dont les mouvements
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 20
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.