Ma captivité en Abyssinie | Page 2

Henri Blanc
avait étudié les sujets
théologiques, mais il s'était particulièrement rendu familière l'histoire
de l'Abyssinie. Son éducation, supérieure à celle de son entourage,

exerça une grande influence sur son avenir. Tous ses rapports avec les
autres hommes avaient un caractère religieux, et il était profondément
pénétré de l'idée, que la race musulmane ayant, depuis des siècles,
empiété sur les pays chrétiens, le but de sa vie devait être désormais le
rétablissement de l'ancien empire d'Ethiopie. Sollicité à la fois par son
ambition et son fanatisme, il s'avança dans la direction de Kédaref, à la
tête de 16,000 guerriers; mais il connut bientôt la supériorité d'une
petite troupe bien armée et bien conduite, sur de nombreuses bandes
indisciplinées. Près de Kédaref, il se trouva face à face avec ses mortels
ennemis, les Turcs, qui n'étaient qu'une poignée, mais encore trop
nombreux pour lui; car, au premier choc, ses soldats furent démoralisés
et battus. Il dut, pour quelque temps au moins, renoncer à son rêve
chéri.
Au lieu de retourner au siège du gouvernement, il fut obligé, à cause
d'une grave blessure reçue pendant le combat, de s'arrêter sur les
frontières du Dembea. De son camp, il informa sa belle-mère de l'état
dans lequel il se trouvait, la priant de lui envoyer une vache (salaire
exigé par les docteurs abyssiniens). Waizero Menen, qui avait toujours
détesté Kassa, saisit avec empressement l'occasion que lui offrait
l'humble condition dans laquelle ce dernier était tombé pour abaisser
son orgueil, et an lieu d'une vache, elle lui fit parvenir un petit morceau
de viande, accompagné d'un message insultant. Près de la couche du
chef blessé, se tenait la courageuse compagne qui avait partagé ses
infortunes, la femme qu'il aimait. A l'ouïe du message ironique de la
reine, son sang bouillant de Galla s'enflamma et elle fut prise d'une
grande indignation. Elle se leva et dit à Kassa qu'elle aimait les braves,
mais qu'elle détestait les poltrons, et qu'elle ne resterait pas auprès de
lui s'il ne vengeait cette insulte dans le sang. Ces paroles passionnées
tombèrent dans des oreilles bien préparées pour les recevoir, et la soif
de la vengeance pénétra dans le coeur de Kassa. Aussitôt qu'il eut
recouvré assez de forces, il retourna à Kouara et se proclama
ouvertement indépendant.
Ras-Ali lui enjoignit une seconde fois de rentrer à sa cour; mais la
sommation fut renvoyée avec un refus cruel. Plusieurs officiers furent
expédiés pour forcer Kassa à se soumettre, mais le jeune commandant
battit facilement tous ces envoyés; tandis que leurs compagnons
d'armes, charmés par les manières insinuantes du jeune chef et alléchés

par ses splendides promesses, s'enrôlaient sous les drapeaux de Kassa.
La femme de ce dernier exerçait toujours une grande influence sur lui,
lui montrant qu'il pouvait aisément s'emparer du pouvoir suprême; et,
comme il hésitait encore, elle le menaça de l'abandonner. Kassa ne
résista pas plus longtemps; il marcha vers Godjam, entraînant tout sur
son passage. La bataille de Djisella, livrée en 1853, décida du sort de
Ras-Ali. Son armée était à peine engagée qu'une terreur panique saisit
ses soldats, et Ras-Ali abandonna le champ de bataille avec un corps de
500 cavaliers, tandis que le reste de ses troupes allait grossir les rangs
du conquérant. Au bout de peu d'années, de Shoa à Metemma, de
Godjam à Bagos, tout tremblait devant l'empereur Théodoros et
obéissait à son commandement. Pour consacrer son nouveau titre, il
désira se faire couronner; ce fut après la bataille de Deraskié, livrée en
février 1855, qui lui soumettait le Tigré et réduisait son plus formidable
ennemi Dejatch Oubié. Après cette nouvelle victoire, Théodoros tourna
ses armes redoutées contre les Wallo-Gallas; il occupa lui-même
Magdala; il ravagea et détruisit si complètement les riches plaines des
Gallas, qu'en désespoir de cause, plusieurs des chefs de ces tribus
entrèrent dans les rangs de son armée et tournèrent leurs armes contre
leurs concitoyens. Non-seulement, le nouvel empereur voulait venger la
longue oppression des chrétiens depuis si longtemps victimes des
fréquentes incursions des Gallas, mais il voulait aussi humilier l'esprit
hautain de ces hordes. Malheureusement, au faîte de son ambition, il
perdit sa courageuse et bien-aimée femme. Il sentit profondément son
malheur. Elle avait été son fidèle conseiller, la compagne inséparable
de sa vie aventureuse, l'être qu'il avait le plus aimé; et tant qu'il vécut, il
chérit sa mémoire. En 1866, un de ses partisans m'ayant supplié, en sa
présence, de demeurer quelques jours auprès de sa femme mourante,
Théodoros baissa la tête et pleura au souvenir de la sienne morte depuis
plusieurs années et qu'il avait aimée si profondément.
La carrière de Théodoros peut se diviser en trois périodes distinctes: la
première, de son enfance jusqu'à la mort de sa première femme; la
seconde, depuis la chute de Ras-Ali jusqu'à la mort de M. Bell; la
troisième depuis ce dernier événement jusqu'à
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