Les Grandes Dames | Page 2

Arsène Houssaye
Juan par les femmes de la cour, par les demi-mondaines et par les coquines.
Il ��tait si bien admis qu'il faisait le massacre des coeurs que beaucoup de femmes se fussent trouv��es ridicules de ne pas se donner �� lui quand il voulait bien les prendre. C'��tait la mode d'��tre sa victime; or, Paris est par excellence le pays de la mode.
Beaucoup de femmes du monde ont port�� ses armes--un petit poignard d'or qu'il fichait dans leur chevelure,--quelques-unes s'imaginaient que c'��tait une fiche de consolation, quelques autres que c'��tait un porte-bonheur.
Les courtisanes, au contraire, disaient tout haut que le duc de Parisis leur portait malheur. ?Octave porte la guigne?. Mais celles qui avaient le plus d'illusions ne furent pas longtemps �� les perdre, car on s'aper?ut bient?t que le duc de Parisis tra?nait avec lui la mort, la ruine, le d��sespoir. Qui e?t jamais dit cela en le voyant si gai en son perp��tuel sourire arm�� de raillerie?
La Fatalit��, cette divinit�� des anciens, n'a pas d'autels parmi nous, mais si on ne lui sacrifie pas des colombes elle n'en est pas moins vivante, imp��rieuse, terrible, vengeresse, toujours d��esse du mal.
Elle est invisible, mais on la pressent comme on pressent l'orage et la temp��te.
Et d'ailleurs elle a ses repr��sentants visibles. Combien d'hommes ici-bas qui ne sont que les repr��sentants de la fatalit��! combien qui portent malheur sans avoir la conscience du mal qu'ils vont faire!
C'est que le monde vit par le mal comme par le bien. Dieu l'a voulu parce que Dieu a voulu que l'homme ne p?t arriver au bien qu'en traversant le mal: ne faut-il pas que la vertu ait sa r��compense? La vertu n'est pas seulement le don de ne pas mal faire comme le croient beaucoup de gens, c'est la force d'arriver au bien apr��s avoir travers�� tous les p��rils de la vie.
Ceux qui ��taient �� la surface sous le second empire ont tous connu le duc de Parisis: le comte d'Orsay comme M. de Morny, Kalil-Bey comme M. de Persigny, M. de Grammont-Caderousse comme M. Georges de Heckereen, le duc d'Aquaviva comme Antonio de Espeletta. Le r��gne de ce personnage, tragique dans sa com��die mondaine, fut bien ��ph��m��re. Il passa comme l'ouragan, mais son souvenir est vivant encore dans plus d'un coeur de femme qu'il a bless�� mortellement. Ce n'��tait pas un coeur que cet homme, c'��tait un orgueil, c'��tait une soif de vivre par toutes les volupt��s, c'��tait don Juan ressuscit�� pour finir plus mal que ses anc��tres, car on sait que tous les don Juan ont mal fini.
J'ai ��t�� plus d'une fois le compagnon d'aventures d'Octave de Parisis, j'ai v��cu avec ce viveur chez moi et chez lui dans l'intimit�� la plus cordiale: je veux donc conter son histoire que je connais bien. Il y a certes plus d'un chapitre qu'il me faudrait ��crire en h��breu pour les jeunes filles, mais pourtant ce livre portera sa moralit��; je pourrais m��me ��crire sur la premi��re page, �� l'inverse de Jean-Jacques Rousseau sur la Nouvelle H��lo?se: Toute femme qui lira ce livre est une femme sauv��e.
Je passe avec respect devant toutes les femmes qui ont brav�� la passion; j'��tudie avec sympathie les coeurs vaincus, qui me rappellent cette ��pitaphe d'une grande dame au P��re Lachaise: ?PAUVRE FEMME QUE JE SUIS!? Son nom? Point de nom. C'est une femme.
Si je n'ai pas racont�� l'histoire des grandes dames vertueuses, c'est que les femmes vertueuses n'ont pas d'histoire.
Il n'y a plus de grandes dames, disent les petites dames; le cat��chisme de 1789 a barbouill�� les marges du livre h��raldique; la derni��re duchesse, si elle n'est pas morte d��j��, re?oit le viatique dans le dernier chateau de la Normandie ou dans le dernier h?tel du faubourg Saint-Germain. Il n'y a donc plus de grandes dames, il n'y a plus que des femmes comme il faut.?
Il serait plus juste de dire: Il n'y a pas de grandes dames ni de femmes comme il faut: il y a des femmes. Selon Balzac, ?le XIXe si��cle n'a plus de ces belles fleurs f��minines qui ont orn�� les plus belles p��riodes de la monarchie fran?aise.? Et il ajoutait avec plus d'esprit que de v��rit��: ?L'��ventail de la grande dame est bris��; la femme n'a plus �� rougir, �� chuchoter, �� m��dire, l'��ventail ne sert plus qu'�� s'��venter.? Balzac d��couronnait ainsi la femme d'un trait de plume; un peu plus il la rejetait dans l'humiliation de son ancien esclavage; ce qui n'emp��chait pas Balzac de mettre en sc��ne les grandes dames de son imagination.
O�� commence la grande dame? o�� finit-elle? La grande dame commence toujours dans l'aristocratie de race, qui est son vrai pays natal; mais s'il lui manque la grace presqu'aussi belle que la beaut��, elle est d��poss��d��e; elle n'est plus qu'une femme du monde. Il serait trop commode d'��tre une grande dame parce qu'on
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