Les Deux Gentilshommes de Vérone | Page 3

William Shakespeare
berger et moi un mouton?
PROTéO.--Oui.
SPEED.--Eh bien! alors mes cornes sont ses cornes, que je dorme ou que je veille.
PROTéO.--Sotte réponse et digne d'un mouton.
SPEED.--Nouvelle preuve que je suis un mouton.
PROTéO.--Oui, et ton ma?tre un berger.
SPEED.--Et pourtant je pourrais le nier pour une certaine raison.
PROTéO.--Cela ira bien mal, si je ne le prouve point par une autre.
SPEED.--Le berger cherche le mouton, et le mouton ne cherche pas le berger; mais moi je cherche mon ma?tre et mon ma?tre ne me cherche pas; je ne suis donc pas un mouton.
PROTéO.--Le mouton suit le berger pour obtenir du fourrage, et le berger ne suit point le mouton pour un peu de nourriture; tu suis ton ma?tre pour des gages, et ton ma?tre ne te suit pas pour des gages. Donc tu es un mouton.
SPEED.--Encore une preuve semblable, et vous me ferez crier beh!
PROTéO.--Mais, écoute-moi, as-tu remis ma lettre à Julie?
SPEED.--Oui, monsieur. Moi mouton perdu, j'ai remis votre lettre à Julie, mouton en corset[5], et Julie, mouton en corset, ne m'a rien donné pour ma peine à moi mouton perdu.
PROTéO.--Voilà un bien petit paturage pour tant de moutons.
SPEED.--Si la terre en est trop chargée, vous feriez mieux de l'attacher.
PROTéO.--Non, tu t'égares, il vaudrait mieux te parquer[6].
SPEED.--Oh! monsieur, je me contenterai de moins d'une livre pour avoir porté votre lettre.
PROTéO.--Tu te méprends; je veux parler d'un parc[7].
SPEED.--D'une livre à une épingle[8]? Tournez-la de tous les c?tés, c'est trois fois trop peu pour porter une lettre à votre belle.
PROTéO.--Mais qu'a-t-elle dit? a-t-elle fait un signe de tête?
SPEED _fait un signe de tête_.--Bête!
PROTéO.--Qui appelles-tu bête[9]?
SPEED.--Vous vous trompez, monsieur, c'est vous qui avez dit bête, puisque vous avez pris la peine de le dire, gardez-le pour votre peine[10].
[Note 5: Mutton laced était un terme tellement commun, pour désigner une courtisane, que la rue la plus fréquentée par ces femmes, à Clerkenwell, était appelée _Mutton-lane_.]
[Note 6: équivoque intraduisible. Pound, livre sterling, et to pound, parquer.]
[Note 7: Speed feint toujours de prendre un mot pour l'autre.]
[Note 8: _Pin-fold,_ bergerie; pin, épingle.]
[Note 9-10: PROTéO. _Did she nod_?--SPEED. I.--PROTéO. _Nod I why! that is noddy_.--SPEED. _You mistook, sir_.
Nod, signe de tête; to nod, faire un signe de tête; noddy, nigaud; I, je; pauvres équivoques. Le lecteur perd peu de chose si la traduction est impossible.
Selon Pope, cette scène aurait été interpolée par les comédiens.]
PROTéO.--Non, non, tu le prendras pour avoir porté la lettre.
SPEED.--Fort bien! je m'aper?ois qu'il faut que je supporte avec vous.
PROTéO.--Comment! monsieur, que supportez-vous avec moi?
SPEED.--Pardieu, monsieur, la lettre sans doute, n'ayant que le mot de bête pour ma peine.
PROTéO.--Malepeste, tu as l'esprit vif!
SPEED.--Et pourtant il ne peut attraper votre bourse paresseuse.
PROTéO.--Allons, allons, qu'a-t-elle dit? acquitte-toi promptement de ton message.
SPEED.--Acquittez-vous avec votre bourse, afin que nous soyons quittes tous deux.
PROTéO.--Eh bien! voilà pour ta peine; qu'a-t-elle dit?
SPEED.--Sur ma foi, monsieur, je crois que vous ne la gagnerez pas aisément.
PROTéO.--Quoi donc? t'en a-t-elle laissé tant voir?
SPEED.--Vraiment, monsieur, je n'ai rien vu d'elle; non, non, pas même un ducat pour lui avoir remis votre lettre; et puisqu'elle a été si dure envers moi, qui lui ai porté votre coeur, je crains qu'elle ne soit aussi dure à vous ouvrir le sien; ne lui donnez pas d'autres gages d'amour que des pierres, car elle est aussi dure que l'acier.
PROTéO.--Comment! elle ne t'a rien dit?
SPEED.--Non pas seulement: _Tenez, mon ami, prenez cela pour votre peine_. Pour me prouver votre générosité vous m'avez donné un teston! Aussi en récompense vous pourrez à l'avenir porter vos lettres vous-même; et ainsi, monsieur, je vous recommanderai à mon ma?tre.
PROTéO.--Va, pars pour sauver du naufrage ton vaisseau, qui ne peut périr en t'ayant sur son bord; car tu es destiné à périr à terre d'une mort moins humide. Il me faut envoyer quelque autre messager, je craindrais que ma Julie ne dédaignat mes lettres, si elle les recevait d'un aussi indigne facteur.
(Ils sortent.)

SCèNE II
Vérone. Jardin de la maison de Julie.
JULIE et LUCETTE.
JULIE.--Mais dis-moi donc, Lucette, à présent que nous sommes seules, est-ce que tu voudrais me conseiller de tomber amoureuse[11]?
[Note 11: Devenir amoureux se dit en anglais: to fall in love, tomber en amour; voilà pourquoi Lucette répond en isolant le verbe to fall, tomber.]
LUCETTE.--Oui, madame, afin de ne pas trébucher sans vous y attendre.
JULIE.--Et de toute la belle troupe de gentilshommes que tu vois tous les jours me faire la cour, lequel est à ton avis le plus digne d'amour?
LUCETTE.--S'il vous plait, répétez-moi leurs noms, je vous dirai ce que je pense suivant mes faibles lumières.
JULIE.--Que penses-tu du beau chevalier églamour[12]?
[Note 12: Il ne faut pas confondre cet innamorato insignifiant avec le chevalier églamour, personnage que nous trouvons à Milan, et qui a juré fidélité et chasteté sur le tombeau de son épouse.]
LUCETTE.--Que c'est un chevalier au doux langage, élégant et bien tourné. Mais si j'étais vous, il ne serait jamais à moi.
JULIE.--Que penses-tu du riche Mercatio?
LUCETTE.--Très-bien de
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