Le culte du moi 2 | Page 2

Maurice Barrès
pens��e, par trop de scrupule. J'ai craint d'introduire mon didactisme en suppl��ment aux faits; je me suis abstenu de me r��gler, de me mettre au point, j'ai voulu me produire tout n?ment. Je voyais s'��veiller mes groupes de sensations, je les notais, je les d��crivais, j'acceptais ma spontan��it��. J'oubliais qu'il s'agit de cr��er un rapport entre l'auteur et le lecteur, et qu'ainsi le plus probe philosophe doit se pr��occuper de l'effet �� produire. J'avais une tendance �� conduire au grand jour tout ce que je trouvais dans mon ame, car tout cela voulait intens��ment vivre; or il y a, dans ma conscience un moqueur, qui surveille mes exp��riences les plus sinc��res et qui rit quand je patauge. Mes premiers livres ne dissimulent pas suffisamment ce rire. Si Jouffroy, dans sa fameuse nuit, avait ��t�� capable de ce d��doublement, et s'il avait m��l�� �� son chant path��tique les railleries de son surveillant int��rieur, il aurait d��concert��.
Mes a?n��s, Anatole France et Jules Lema?tre, me comblaient; ils m'ont, d��s la premi��re minute, trait�� avec une grande g��n��rosit��, mais ils pr��tendaient que je fusse un ironiste. Ils ne voyaient pas que je voulais prouver quelque chose et que l'ironie n'��tait qu'un de mes moyens. Ces grands navigateurs, n'ayant pas encore jet�� l'ancre, n'admettaient pas que mes inqui��tudes diff��rassent de leur curiosit��. Peut-��tre M. Paul Desjardins r��sumait-il l'opinion moyenne des gens de lettres autoris��s dans une phrase qui me troublait par un m��lange de justesse et d'injustice. ?Cet adolescent, disait le critique desD��bats, cet adolescent, si merveilleusement dou�� pour le style, a trouv�� le moule de phrases le plus savoureux et le plus plaisant; par malheur, il s'est ��gar�� dans son propre dandysme et il lui est arriv��, ce qui n'est pas rare, qu'il n'a plus su lui-m��me si ce qu'il disait ��tait s��rieux ou non. C'est un m��lange extraordinaire de sinc��rit�� na?ve et d'ironie tr��s serr��e.... Il a voulu prendre le monde pour jouet et il est lui-m��me le jouet de sa cadence verbale. Il n'est pas du tout s?r de lui sous son air imperturbable....[1]?
Je l'ai dit ailleurs d��j��[2], je n allai point droit sur la v��rit�� comme une fl��che sur la cible. L'oiseau plane d'abord et s'oriente; les arbres pour s'��lever ��tagent leurs ramures; toute pens��e proc��de par ��tapes. Je vivais dans une crise perp��tuelle; ma pens��e ��tait, que dis-je! elle est encore une chose vivante, la forme de mon ame. Qu'est-ce que mon oeuvre? Ma personne toute vive emprisonn��e. La cage en fer d'une des b��tes du Jardin des Plantes.
A la date o�� j'��cris cette pr��face, je viens d'entreprendre lesBastions de l'Est: ils ne sont en moi qu'une vaste sensibilit��. Qu'en tirera ma raison? En 1890, au lendemain de l' Homme libre, je sentais mon abondance, je ne me poss��dais pas comme un ��tre intelligible et cern��. C'est la r��gle de toute production artistique. L'on ne d��lib��re gu��re sur les ouvrages qu'on ��crira; on se surprend �� les avoir d��j�� v��cus, quand on se demande si on les approuve. C'est par pl��nitude, par n��cessit�� et de la mani��re la plus irr��fl��chie que se produisent les germes qui, bien soign��s, deviendront de grandes oeuvres droites. Magnifique geste d'une m��re qui prend son fils aux mains de l'accoucheuse et le regarde. Elle l'a mis au monde et ne le conna?t point.
Mais pourquoi chercher tant de raisons �� ce refus de me comprendre que j'ai subi durant douze ann��es? C'est bien simple: nous ne conqu��rons jamais ceux qui nous pr��c��dent dans la vie. En vain nous pr��tent-ils du talent, nous ne pouvons pas les ��mouvoir. A vingt ans, une fois pour toutes, ils se sont choisi leurs po��tes et leurs philosophes. Un ��crivain ne se cr��e un public s��rieux que parmi les gens de son age ou, mieux encore, parmi ceux qui le suivent.
Les jeunes gens me d��dommageaient. Ils se r��p��taient la derni��re page des Barbares: ?O mon ma?tre... je te supplie que par une supr��me tutelle, tu me choisisses le sentier ou s'accomplira ma destin��e... Toi seul, ? ma?tre, si tu existes quelque part, axiome, religion ou prince des hommes.? Ils distinguaient dans l' Homme libre des forces d'enthousiasme. Ils virent que je cherchais une raison de vivre et une discipline. Ils s'int��ress��rent passionn��ment �� une recherche qu'eux-m��mes eussent voulu entreprendre. Ce petit livre produisit dans certains jeunes esprits une agitation singuli��re. On m'a racont�� qu'au Conseil sup��rieur de l'instruction publique, vers 1890, M. Gr��ard exprima le regret que je fusse avec Verlaine l'auteur le plus lu par nos rh��toriciens et nos philosophes de Paris. A cet ��poque on disputait s'il fallait ��tre barr��siste ou barr��sien. Charles Maurras tient pour barr��sien. La Revue ind��pendante avait publi�� de M. Camille Mauclair une sorte de manifeste sur le barr��sisme. Un sage aurait, d��s ce d��but, discern�� chez les tenants du ?culte du Moi? des formations
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