Le IIe livre des masques | Page 2

Remy de Gourmont
phrase qui semble celle d'une causerie distraite et qui pourtant, comme par hasard, forme des vers charmants, purs et d��finitifs. Cependant le po��te suit bien sagement son calendrier et, comme Virgile oublie un instant les soins que l'on donne aux abeilles pour nous conter l'aventure d'Arist��e, M. Francis Jammes, arriv�� �� la f��te des Rameaux, nous dit en quelques vers une histoire de J��sus belle et tendre ainsi que les vieilles gravures que l'on clouait dans les alc?ves.
.....................................................?J��sus pleurait dans le jardin des oliviers....?On ��tait all��, en grande pompe, le chercher....?A J��rusalem les gens pleuraient en criant son nom....?Il ��tait doux comme le ciel, et son petit anon?trottinait joyeusement sur les palmes jet��es.?Des mendiants amers sanglotaient de joie,?en le suivant, parce qu'ils avaient la foi....?De mauvaises femmes devenaient bonnes?en le voyant passer avec son aur��ole?si belle qu'on croyait que c'��tait le soleil.?Il avait un sourire et des cheveux en miel.?Il a ressuscit�� des morts ... Ils l'ont crucifi��...
Quand nous aurons (et peut-��tre l'aurons-nous) un calendrier complet ��crit dans ce ton de simplicit�� path��tique, il y aura d'ajout�� aux tomes ��pars qui sont la po��sie fran?aise un livre inoubliable.
M. Francis Jammes offrit ses premiers vers au public en 1894. Il devait avoir vingt-cinq ans et sa vie avait ��t�� ce qu'elle est rest��e, solitaire au fond des provinces, vers les Pyr��n��es, mais non dans la montagne:
Les villages brillent au soleil dans tes plaines,?pleins de clochers, de rivi��res, d'auberges noires....
Les femmes des paysans ?ont la peau en terre brune?, mais les matins sont bleus et les soir��es sont bleues,
avec des champs de paille qui sentent la menthe,?avec des fontaines crues o�� l'eau claire chante....
avec des sentiers o�� quand c'est le mois d'octobre?le vent fait voler les feuilles des chataigners....
ainsi vont les doux villages ��parpill��s?sur les coteaux, aux flancs des coteaux, �� leurs pieds, dans les plaines, dans les vall��es, le long des gaves,?pr��s des routes, pr��s des villes et des montagnes;?avec les clochers minces au-dessus des toits,?avec, sur les chemins qui se croisent, des croix,?avec des troupeaux longs qui ont des cloches rauques?et le berger fatigu�� tra?nant ses sabots....
avec les palombes aux yeux rouges et tout ronds?qui arrivent de loin dans le gris des nuages?et les grues qui grincent dans le froid et qui font,?comme des serrures rouill��es, un bruit sauvage....
Voil��, tout d��chiquet��, vu par bribes, le paysage o�� ��volu��rent les ��motions de ce po��te dont la solitude a exasp��r�� et parfois troubl�� l'originalit��. Soucieux d'abord de dire son impression du moment, il se r��p��te volontiers, variant par de faible nuances les d��tails de la vie qu'il aime. Mais que de visions ��mues, que de jolies imaginations, et comme les mots viennent doucement ��crire des pages dont la fra?cheur fait envie! Ainsi le tableau, de chaste volupt��:
Tu serais nue sur la bruy��re humide et rose....
et cet autre, d'un sentiment plus intime:
La maison serait pleine de roses et de gu��pes....
et la complainte d'amour et de piti�� qui commence ainsi:
J'aime l'ane si doux?marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles?et bouge les oreilles;?et il porte les pauvres?et des sacs remplis d'orge.
et (malgr�� une strophe mauvaise) la discr��te ��l��gie que r��sument ces quatre vers d'une musique si ti��de et si lasse:
Le soleil pur, le nom doux du petit village,?les belles oies qui sont blanches comme le sel,?se m��lent �� mon amour d'autrefois, pareil?aux chemins obscurs et longs de Sainte Suzanne.
Apr��s encore un an ou deux d'une vie sans doute toujours pareille, le po��te a pris une conscience plus d��cisive de lui-m��me; son ��motion devient parfois presque plaintive en m��me temps que la sensualit�� de l'homme s'exalte, s'avoue avec moins de pudeur, mais toujours soeur d'un sentiment et alors toujours pure malgr�� sa franchise et la nudit�� de ses gestes. Ce triple aspect humain, orgueil, ��motion, sensualit��, le po��me en dialogue, appel�� Un Jour, le d��veloppe, en couleurs vives et douces: quatre sc��nes o�� la po��sie vole au-dessus d'une vie monotone et presque triste, quatre images tr��s simples, et m��me, si l'on veut, na?ves, mais d'une na?vet�� qui se conna?t et qui conna?t sa beaut��. Plus que d'ambitieuses paraphrases c'est bien l�� la journ��e (ou la vie) d'un po��te, qui per?oit le monde ext��rieur d'abord comme une sensation brute (ainsi que tout autre homme), puis en d��gage aussit?t, en son esprit prompt aux g��n��ralisations, la signification symbolique ou absolue. Et tout ce po��me est plein de vers admirables et graves, des vers d'un vrai po��te dont le g��nie encore en croissance ��clate, tel des rayons de soleil �� travers une haie d'acacias:
C'est la m��re douce aux cheveux gris dont tu es n��.
Les gens pauvres et fiers sont pareils �� des cygnes.
Cache-lui ton ennui parce qu'elle est une femme.?Elle est trop jeune pour pouvoir porter deux ames.
Bois les baisers de ta douce et tendre fianc��e.?Les larmes des femmes sont lourdes et sal��es?comme la mer qui noie
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