Le Grand Meaulnes | Page 2

Alain-Fournier
"changements", une d��cision d'inspecteur ou de pr��fet nous avaient conduits l��. Vers la fin des vacances, il y a bien longtemps, une voiture de paysan, qui pr��c��dait notre m��nage, nous avait d��pos��s, ma m��re et moi, devant la petite grille rouill��e. Des gamins qui volaient des p��ches dans le jardin s'��taient enfuis silencieusement par les trous de la haie... Ma m��re, que nous appelions Millie, et qui ��tait bien la m��nag��re la plus m��thodique que j'aie jamais connue, ��tait entr��e aussit?t dans les pi��ces remplies de paille poussi��reuse, et tout de suite elle avait constat�� avec d��sespoir, comma �� chaque "d��placement", que nos meubles ne tiendraient jamais dans une maison si mal construite... Elle ��tait sortie pour me confier sa d��tresse. Tout en me parlant, elle avait essuy�� doucement avec son mouchoir ma figure d'enfant noircie par le voyage. Puis elle ��tait rentr��e faire le compte de toutes les ouvertures qu'il allait falloir condamner pour rendre le logement habitable... Quant �� moi, coiff�� d'un grand chapeau de paille �� rubans, j'��tais rest�� l��, sur le gravier de cette cour ��trang��re, �� attendre, �� fureter petitement autour du puits et sous le hangar.
C'est ainsi, du moins, que j'imagine aujourd'hui notre arriv��e. Car aussit?t que je veux retrouver le lointain souvenir de cette premi��re soir��e d'attente dans notre cour de Sainte-Agathe, d��j�� ce sont d'autres attentes que je me rappelle; d��j��, les deux mains appuy��es aux barreaux du portail, je me vois ��piant avec anxi��t�� quelqu'un qui va descendre la grand'rue. Et si j'essaie d'imaginer la premi��re nuit que je dus passer dans ma mansarde, au milieu des greniers du premier ��tage, d��j�� ce sont d'autres nuits que je me rappelle; je ne suis plus seul dans cette chambre; une grande ombre inqui��te et amie passe le long des murs et se prom��ne. Tout ce paysage paisible--l'��cole, le champ du p��re Martin, avec ses trois noyers, le jardin d��s quatre heures envahi chaque jour par des femmes en visite--est �� jamais, dans ma m��moire, agit��, transform�� par la pr��sence de celui qui bouleversa toute notre adolescence et dont la fuite m��me ne nous a pas laiss�� de repos. Nous ��tions pourtant depuis dix ans dans ce pays lorsque Meaulnes arriva.
J'avais quinze ans. C'��tait un froid dimanche de novembre, le premier jour d'automne qui f?t songer �� l'hiver. Toute la journ��e, Millie avait attendu une voiture de La Gare qui devait lui apporter un chapeau pour la mauvaise saison. Le matin, elle avait manqu�� la messe; et jusqu'au sermon, assis dans le choeur avec les autres enfants, j'avais regard�� anxieusement du c?t�� des cloches, pour la voir entrer avec son chapeau neuf.
Apr��s midi, je dus partir seul �� v��pres.
"D'ailleurs, me dit-elle, pour me consoler, en brossant de sa main mon costume d'enfant, m��me s'il ��tait arriv��, ce chapeau, il aurait bien fallu sans doute, que je passe mon dimanche �� le refaire".
Souvent nos dimanches d'hiver se passaient ainsi. D��s le matin, mon p��re s'en allait au loin, sur le bord de quelque ��tang couvert de brume, p��cher le brochet dans une barque; et ma m��re, retir��e jusqu'�� la nuit dans sa chambre obscure, rafistolait d'humbles toilettes. Elle s'enfermait ainsi de crainte qu'une dame de ses amies, aussi pauvre qu'elle mais aussi fi��re, v?nt la surprendre. Et moi, les v��pres finies, j'attendais, en lisant dans la froide salle �� manger, qu'elle ouvr?t la porte pour me montrer comment ?a lui allait.
Ce dimanche-l��, quelque animation devant l'��glise me retint dehors apr��s v��pres. Un bapt��me, sous le porche, avait attroup�� des gamins. Sur la place, plusieurs hommes du bourg avaient rev��tu leurs vareuses de pompiers; et, les faisceaux form��s, transis et battant la semelle, ils ��coutaient Boujardon, le brigadier, s'embrouiller dans la th��orie...
Le carillon du bapt��me s'arr��ta soudain, comme une sonnerie de f��te qui se serait tromp��e de jour et d'endroit; Boujardon et ses hommes, l'arme en bandouli��re emmen��rent la pompe au petit trot; et je les vis dispara?tre au premier tournant, suivis de quatre gamins silencieux, ��crasant de leurs grosses semelles les brindilles de la route givr��e o�� je n'osais pas les suivre.
Dans le bourg, il n'y eut plus alors de vivant que le caf�� Daniel, o�� j'entendais sourdement monter puis s'apaiser les discussions des buveurs. Et, fr?lant le mur bas de la grande cour qui isolait notre maison du village, j'arrivai un peu anxieux de mon retard, �� la petite grille.
Elle ��tait entr'ouverte et je vis aussit?t qu'il se passait quelque chose d'insolite.
En effet, �� la porte de la salle �� manger--la plus rapproch��e des cinq portes vitr��es qui donnaient sur la cour--une femme aux cheveux gris, pench��e, cherchait �� voir au travers des rideaux. Elle ��tait petite, coiff��e d'une capote de velours noir �� l'ancienne mode. Elle avait un visage maigre et fin, mais ravag�� par l'inqui��tude; et je ne sais quelle appr��hension,
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