La vraye suitte du Cid | Page 2

Nicolas-Marc Desfontaines
point faillir en cette occasion
J'ay plus de modestie & moins
d'ambition:
Madame croyez-moy, je verray sans envie
Qu'une autre
ait le bon-heur dont vous flattez ma vie
Et que dans le sejour d'un
superbe Palais
Elle reçoive un bien qui ne me pleut jamais,
Pour
moy sans regarder plus haut que ma fortune,
Je trouve dans le trône
une pompe importune,
Et donnant à mon coeur des mouvemens plus
sains,
J'attache mes desirs à de moindres desseins:
C'est par l'égalité
qu'un beau couple s'assemble,
Ceux qui sont inégaux ne sont pas bien

ensemble,
Et l'Amour fait entr'eux de si foibles accords,
Que
souvent on les void se rompre sans efforts.
L'INFANTE.
Chymene, je sçay bien quelle est ta modestie,
Mais pour cette raison
ne sois pas divertie,
De recevoir un bien qui vient s'offrir à toy
Par
le vouloir des Dieux, & de la main d'un Roy:
Le Ciel qui t'a donné
des qualitez si belles,
Ne veut point que tu sois d'un rang indigne
d'elles,
Il cognoist que ce front est desja destiné
Par les arrests du
sort pour estre couronné,
Et pour te confirmer ce bien-heureux
presage
D'un Monarque puissant il touche le courage,
Et fait mesme
advoüer à cet esprit royal
Qu'il n'est rien icy bas à ton merite esgal.

Encore que le Cid t'ait tousjours adorée,
Croy-tu que son amour ne
puisse estre alterée,
Et que dans la longueur de son esloignement

Ainsi que grand Guerrier il soit fidele Amant?
Peut-estre maintenant
ton amour l'importune,
Et son ambition croît avec sa fortune;
Si lors
qu'il n'avoit pas ce tiltre glorieux
Qui le met au dessus de ses braves
ayeux,
Il s'estimoit desja digne de ton merite,
Pense-tu que son
coeur s'arreste en ce limite,
Aujourd'huy que l'Espagne & tant de
Nations
Admirent sa valeur & ses perfections.
Ah! Chymene je voy
de grandes apparences
Qu'il portera plus haut ses belles esperances,

Et qu'un trône sera l'inévitable écueil
Où ta fidelité trouvera son
cercueil.
CHYMENE à part.
Ah Dieux! qu'adroittement elle me veut surprendre,
Et m'oster un
amour où je la voy pretendre!
Oüy sans doute elle l'ayme, & parlant
pour le Roy,
Je cognois bien aussi qu'elle parle pour soy.
Madame
si le Cid abandonne Chymene,
Pour donner à son coeur une plus
noble chaisne,
Vous verrez qu'elle sçait souffrir esgalement
Et ses
legeretez & son esloignement.
L'INFANTE.

Puisque tu peux joüyr d'un pareil advantage,
Tu dois belle Chymene
imiter son courage:
Et comme les grandeurs changent ses passions

Donner un mesme vol à tes affections,
Ne croy pas pour cela qu'on te
nomme infidelle,
Ou que ce changement te rende criminelle:
La
volonté des Roys peut tout authorizer
Et la mort de ton pere a droit de
t'excuser;
Outre que tu n'és pas si vivement atteinte,
Il me souvient
encor avec quelle contrainte
Tu promis ton amour à ce superbe
Amant
A qui tu ne donnas que l'espoir seulement:
Le Roy veut
t'exempter de cette loy severe,
Luy prefereras-tu le meurtrier de ton
pere,
Non tu ne feras pas ce tort à ta vertu.
CHYMENE.
Madame vous sçavez comme j'ay combattu
Avant que de ceder à
cette violence
Où son amour fit moins que mon obeïssance,
Je
resistay long-temps, mais enfin mal-gré moy
Il fallut obeyr aux
volontez du Roy,
Il fallut oublier son crime & ma vengeance,

Vostre pere Fernand me mit en sa puissance,
Et puisque je me suis
renduë à cet effort
Ses fers acheveront & ma vie & mon sort.
L'INFANTE.
Mais entens mes raisons
CHYMENE.
Elles sont superfluës,
On delibere en vain des choses resoluës
L'INFANTE en sortant.
Tu pourras y songer avec plus de loisir.
SCENE DEUXIESME.
CHIMENE seule.

Je sçay bien quel party mon amour doit choisir
Si la gloire du Cid a
sa flame estouffée,
Pour donner à ses voeux un plus noble trophée

Je ne l'empesche point, que son destin soit beau
Qu'il soit dessus un
trône, & moy dans le tombeau.
Mais si jamais ce front doit porter la
couronne,
Il faudra que ce soit le Cid qui me la donne
Ce don d'une
autre main me seroit odieux
Et luy seul le peut rendre agreable à mes
yeux
Mais quelle occasion, & quelle negligence
L'obligent si
long-temps à garder le silence:
Dans le commencement de son triste
depart
Je voyois quelquesfois des lettres de sa part
Et de la mesme
main dont parmy les alarmes
Il tire tant de sang, il essuyoit mes
larmes
Mais helas je crains bien qu'en cet object vainqueur

L'esloignement des yeux n'ayt fait celuy du coeur
Car depuis quelque
temps je n'ay plus de nouvelles
Que celles que j'entens du destin des
rebelles
Avec ses ennemis il destruit mon espoir
Et sa gloire luy fait
oublier son devoir
Toutesfois cher Amant excuse un peu ma plainte

Un veritable amour est rarement sans crainte
Estant si genereux tu
n'es pas inconstant
Aussi craindrois-je moins si je n'aymois pas tant

Vien doncq c'est trop long-temps faire l'esperience
Et de ma passion
& de ma patience
Vien si tu veux m'oster d'un penible soucy
Ou
sçaches que sans toy je vay mourrir icy
Mais que me veut Dom
Sanche & quel sujet l'ameine.
SCENE TROISIESME.
DOM SANCHE, CHYMENE.
DOM SANCHE.
Une bonne nouvelle adorable Chymene
CHYMENE.
Quelle? vien-tu du Cid m'annoncer le retour?
DOM SANCHE.

Non encores Madame on l'attend à la Cour,
Mais un plus grand
bon-heur que le Ciel vous envoye
Doit faire icy
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