La vie littéraire

Anatole France
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La vie littéraire, by Anatole France

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Title: La vie littéraire Première série
Author: Anatole France
Release Date: September 11, 2006 [EBook #19249]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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ANATOLE FRANCE
LA VIE LITTéRAIRE
PREMIèRE SéRIE
PARIS
CALMANN-LéVY, éDITEURS

à MONSIEUR ADRIEN HéBRARD, SéNATEUR, DIRECTEUR DU TEMPS
Cher monsieur,
Permettez-moi de vous offrir ce petit livre; je vous le dois bien, car assurément il n'existerait pas sans vous. Je ne songeais guère à faire de la critique dans un journal quand vous m'avez appelé au Temps. J'ai été étonné de votre choix et j'en demeure encore surpris. Comment un esprit alerte, agissant, répandu comme le v?tre, en communion constante avec tout et avec tous, si fort en possession de la vie et toujours jeté au milieu des choses, a-t-il pu prendre en gré une pensée recueillie, lente et solitaire comme la mienne?
Mais rien ne vous est étranger, pas même la méditation. Ceux qui vous connaissent intimement assurent qu'il y a en vous du rêveur. Ils ne se trompent pas. Seulement Vous rêvez très vite. En toutes choses vous possédez au plus haut degré le génie de la promptitude. La facilité avec laquelle vous pensez est prodigieuse. Vous comprenez tout à la fois. Votre conversation, rapide et brillante comme la lumière, m'éblouit toujours. Pourtant elle est toujours raisonnable. éblouir avec la raison, cela n'a été donné qu'à vous. Quel écrivain vous feriez, si vous aviez moins d'idées! Une magicienne russe, qui a longtemps vécu dans l'Inde, parle dans ses écrits d'un procédé qu'emploient les sages indous pour communiquer leur pensée aux profanes. à mesure qu'elle se forme en eux-mêmes, ils la précipitent dans le cerveau d'un saint homme qui l'écrit à loisir. Voilà un procédé qui vous conviendrait! Quel dommage que notre barbare Occident ignore encore la ?précipitation? de la pensée! Mais je vous connais: si un saint homme se mettait à rédiger vos idées précipitées, vous iriez tout de suite le prier de n'en rien faire. Vous aimez à rester inédit. Homme public, vous avez horreur de para?tre: c'est une de vos originalités, et non pas la moins charmante.
Je crois que vous avez un talisman. Vous faites ce que vous voulez. Vous avez fait de moi un écrivain périodique et régulier. Vous avez triomphé de ma paresse. Vous avez utilisé mes songeries et monnayé mon esprit. C'est pourquoi je vous tiens pour un incomparable économiste. M'avoir rendu productif, je vous assure que c'est merveilleux. Mon excellent ami Calmann Lévy lui-même n'avait pas réussi à me faire écrire un seul livre depuis six ans.
Vous avez un très bon caractère et vous êtes très facile à vivre. Vous ne me faites jamais de reproches. Je n'en tire pas vanité. Vous avez compris tout de suite que je n'étais pas bon à grand'chose et qu'il valait mieux ne pas me tourmenter. Sans me flatter, c'est la principale cause de la liberté que vous me laissez dans votre journal. Vous me savez incorrigible et vous désespérez de m'amender. Un jour, n'avez-vous pas dit de moi à un de nos amis communs:
--C'est un bénédictin narquois.
On se conna?t mal soi-même, mais je crois que la définition est bonne. Je me fais assez l'effet d'un moine philosophe. J'appartiens de coeur à une abbaye de Thélème, dont la règle est douce et l'obédience facile. Peut-être n'y a-t-on pas beaucoup de foi, mais assurément on y est très pieux.
L'indulgence, la tolérance, le respect de soi et des autres sont des saints qu'on y ch?me toujours. Si l'on y incline au doute, il faut considérer que le pyrrhonisme ne va pas sans un profond attachement à la coutume et à l'usage. Or, la coutume du plus grand nombre, c'est proprement la morale. Il n'y a qu'un sceptique pour être toujours moral et bon citoyen. Un sceptique ne se révolte jamais contre les lois, car il n'a pas espéré qu'on p?t en faire de bonnes. Il sait qu'il faut beaucoup pardonner à la République. Pourtant voulez-vous un conseil? Ne confiez jamais le bulletin politique du Temps à un de nos thélémites. Il y répandrait une mélancolie douce qui découragerait vos honnêtes lecteurs. Ce n'est pas avec la philosophie qu'on soutient les ministères. Quant à moi, je garde une modestie qui me sied, et je m'en tiens à la critique.
Telle que je l'entends et que vous me la laissez faire, la critique est,
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