La vie errante | Page 2

Guy de Maupassant
les ksours blancs d'Alg��rie, je me suis dit qu'en d��finitive aller l�� de temps en temps serait une chose fatigante mais distrayante, dont on se reposerait ailleurs, chez soi ou chez ses amis.
Mais je n'avais point song�� �� ce qu'allait devenir Paris envahi par l'univers.
D��s le jour, les rues sont pleines, les trottoirs roulent des foules comme des torrents grossis. Tout cela descend vers l'Exposition, ou en revient, ou y retourne. Sur les chauss��es, les voitures se tiennent comme les wagons d'un train sans fin. Pas une n'est libre, pas un cocher ne consent �� vous conduire ailleurs qu'�� l'Exposition, ou �� sa remise quand il va relayer. Pas de coup��s aux cercles. Ils travaillent maintenant pour le rastaquou��re ��tranger; pas une tableaux restaurants, et pas un ami qui d?ne chez lui ou qui consente �� d?ner chez vous.
Quand on l'invite, il accepte �� la condition qu'on banquettera sur la tour Eiffel. C'est plus gai. Et tous, comme par suite d'un mot d'ordre, ils vous y convient ainsi tous les jours de la semaine, soit pour d��jeuner, soit pour d?ner.
Dans cette chaleur, dans cette poussi��re, dans cette puanteur, dans cette foule de populaire en goguette et en transpiration, dans ces papiers gras tra?nant et voltigeant partout, dans cette odeur de charcuterie et de vin r��pandu sur les bancs, dans ces haleines de trois cent mille bouches soufflant le relent de leurs nourritures, dans le coudoiement, dans le fr?lement, dans l'emm��lement de toute cette chair ��chauff��e, dans cette sueur confondue de tous les peuples semant leurs puces sur les si��ges et par les chemins, je trouvais bien l��gitime qu'on allat manger une fois ou deux, avec d��go?t et curiosit��, la cuisine de cantine des gargotiers a��riens, mais je jugeais stup��fiant qu'on p?t d?ner, tous les soirs, dans cette crasse et dans cette cohue, comme le faisait la bonne soci��t��, la soci��t�� d��licate, la soci��t�� d'��lite, la soci��t�� fine et mani��r��e qui, d'ordinaire, a des naus��es devant le peuple qui peine et sent la fatigue humaine.
Cela prouve d'ailleurs, d'une fa?on d��finitive, le triomphe complet de la d��mocratie.
Il n'y a plus de castes, de races, d'��pidermes aristocrates. Il n'y a plus chez nous que des gens riches et des gens pauvres. Aucun autre classement ne peut diff��rencier les degr��s de la soci��t�� contemporaine.
Une aristocratie d'un autre ordre s'��tablit qui vient de triompher �� l'unanimit�� �� cette Exposition universelle, l'aristocratie de la science, ou plut?t de l'industrie scientifique.
Quant aux arts, ils disparaissent; le sens m��me s'en efface dans l'��lite de la nation, qui a regard�� sans protester l'horripilante d��coration du d?me central et de quelques batiments voisins.
Le go?t italien moderne nous gagne, et la contagion est telle que les coins r��serv��s aux artistes, dans ce grand bazar populaire et bourgeois qu'on vient de fermer, y prenaient aussi des aspects de r��clame et d'��talage forain.
Je ne protesterais nullement d'ailleurs contre l'av��nement et le r��gne des savants scientifiques, si la nature de leur oeuvre et de leurs d��couvertes ne me contraignait de constater que ce sont, avant tout, des savants de commerce.
Ce n'est pas leur faute, peut-��tre. Mais on dirait que le cours de l'esprit humain s'endigue entre deux murailles qu'on ne franchira plus: l'industrie et la vente.
Au commencement des civilisations, l'ame de l'homme s'est pr��cipit��e vers l'art. On croirait qu'alors une divinit�� jalouse lui a dit: ?Je te d��fends de penser davantage �� ces choses-l��. Mais songe uniquement �� ta vie d'animal, et je te laisserai faire des masses de d��couvertes.?
Voil��, en effet, qu'aujourd'hui l'��motion s��ductrice et puissante des si��cles artistes semble ��teinte, tandis que des esprits d'un tout autre ordre s'��veillent qui inventent des machines de toute sorte, des appareils surprenants, des m��caniques aussi compliqu��es que les corps vivants, ou qui, combinant des substances, obtiennent des r��sultats stup��fiants et admirables. Tout cela pour servir aux besoins physiques de l'homme, ou pour le tuer.
Les conceptions id��ales, ainsi que la science pure et d��sint��ress��e, celle de Galil��e, de Newton, de Pascal, nous semblent interdites, tandis que notre imagination para?t de plus en plus excitable par l'envie de sp��culer sur les d��couvertes utiles �� l'existence.
Or, le g��nie de celui qui, d'un bond de sa pens��e, est all�� de la chute d'une pomme �� la grande loi qui r��git les mondes, ne semble-t-il, pas n�� d'un germe plus divin que l'esprit p��n��trant de l'inventeur am��ricain, du miraculeux fabricant de sonnettes, de porte-voix et d'appareils lumineux.
N'est-ce point l�� le vice secret de l'ame moderne, la marque de son inf��riorit�� dans un triomphe?
J'ai peut-��tre tort absolument. En tout cas, ces choses, qui nous int��ressent, ne nous passionnent pas comme les anciennes formes de la pens��e, nous autre, esclaves irritables d'un r��ve de beaut�� d��licate, qui hante et gate notre vie.
J'ai senti qu'il me serait agr��able de revoir Florence, et je suis parti.
* * * * *

II
LA NUIT
Sortis du port de
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