La deux fois morte | Page 2

Jules Lermina
me prenant brusquement le bras--nous nous trouvions alors dans un coin assez sombre du parc:
--Mais il est impossible que tu ne le voies pas toi-m��me!
En v��rit��, pendant un espace de temps qui fut infiniment court--je ne pourrais trouver de terme d'exacte fixation--je vis, oui, je vis �� quelques pas de nous le mendiant gibbeux, loqueteux, hirsute, je le vis positivement en sa forme, en sa couleur, apparition et disparition instantan��es.
Tr��s peu sentimental de ma nature et peu dispos�� �� admettre l'inexplicable, je m'irritai contre moi-m��me, attribuant �� ma complaisance pour ce n��vros�� l'influence presque fascinatrice qui m'avait domin��, et je me promis de ne plus pr��ter tant d'attention �� des songeries morbides.
Sans grande fortune et ayant �� me cr��er une position, il ne me seyait pas de jouer avec mon cerveau.

II
Virginie ��tait orpheline de p��re et de m��re. Elle avait ��t�� recueillie par sa famille maternelle: oncle et tante, qui l'��levaient comme leur propre enfant. Ce n'avait pas ��t�� tache facile, car c'��tait bien la plus fragile cr��ature qui se p?t imaginer.
De cinq ans plus jeune que Paul, elle paraissait encore une enfant alors qu'il entrait d��j�� hardiment dans l'adolescence. Nous l'appellions petite Mab, tant sa gracilit��, son a��riformit��--si je puis employer si grand mot pour si petite personne--rappelait la f��e ��cossaise, n��e d'un rayon de lune.
Je me souviens de la premi��re apparition de cette aimable poup��e dans la maison de Paul, o�� je remplissais d'abord le r?le assez ingrat de pr��cepteur, devenu plus tard un compagnon et un ami.
Ai-je dit que Paul, orphelin lui-m��me, habitait chez une cousine ��loign��e �� qui restait seule la force, ��tant �� demi paralytique, d'aimer et d'��tre indulgente?
C'��tait par une de ces matin��es d'��t�� o�� le ciel se nimbe d'une bu��e blanche, avec de vifs piquetages d'argent. Nous ��tions dans le jardin, juste au-devant de la vieille maison qu'��gayaient des lanc��es de vignes vierges et de glycines.
La grille ext��rieure, sur la route, ��tait rest��e entr'ouverte, apr��s la sortie de quelque fournisseur.
La malade ��tait ��tendue sur sa chaise longue, souriante, avec cette expression d'am��nit�� naturelle �� ceux qui, ne pouvant plus vivre, se complaisent �� voir vivre les autres.
De la grille, le panneau plein, inf��rieur, ��tait assez ��lev��. Nous avions install�� une table au bord d'un massif o�� d��j�� per?aient les pointes roses des sil��nes, et, accoud��s, nous ��tudiions, en la concentration d'esprit n��cessaire, un des probl��mes les plus ardus de Wronski, cet ��trange savant dont Lagrange disait qu'il avait invent�� toutes les math��matiques et qui a cr���� pour ses d��monstrations une langue de toutes pi��ces, ind��chiffrable pour les non initi��s. J'avais besoin de condenser toute mon intention pour conserver mon attitude de ma?tre; car avec Paul, dou�� d'une merveilleuse intuition, je craignais fort parfois de descendre au rang d'��l��ve.
--Il y a quelqu'un derri��re la grille, me dit Paul.
Ceci d'une voix pos��e, calme, comme s'il e?t ��nonc�� le fait le plus simple du monde.
Je tournai la t��te, et mes yeux rencontr��rent le soubassement de la grille, plein et large.
--De l'autre c?t��? fis-je. On ne peut voir �� travers le m��tal!
Mais je ne dis rien de plus, car je m'aper?us alors que d'une giration tr��s lente, la grille tournait sur elle-m��me.
Paul tenait ses regards dans cette direction, et ses yeux, dont je connaissais si bien les nuances, avaient une ��tonnante fixit��. Enfin l'arrivante--car c'��tait une petite fille--se r��v��la tout enti��re: quand l'ouverture fut assez large pour qu'elle se glissat, elle se mit �� courir, comme ob��issant �� une attraction violente et ne s'arr��ta qu'�� un m��tre de Paul, le regardant avec une expression �� la fois soumise et heureuse qui me fit sourire.
Mlle de B., la cousine de Paul, consid��rait elle aussi cette apparition blonde, rose, jolie, qui semblait une ��pave ��chou��e de quelque f��erie shakespearienne.
C'��tait la petite voisine �� laquelle sa tante avait dit:--Va donc faire un petit tour!
Elle ��tait sortie de la propri��t�� qui jouxtait celle de Paul, puis tout naturellement, voyant une porte entr'ouverte, l'avait pouss��e.
Elle avait alors douze ans. Mlle de B., regrettant peut-��tre son c��libat, ��tait bonne aux enfants: aussi de ce jour Virginie eut-elle droit de cit�� chez elle et en usa souvent, plus que souvent.
Une ind��niable sympathie l'attirait vers Paul: en quelque coin du parc qu'il se trouvat--et le jardin et le bois ��taient vastes--tout droit elle arrivait �� lui, comme si de partout elle l'apercevait, et elle s'arr��tait devant lui, souriante et mignarde.
Un jour qu'�� notre grande surprise l'heure de sa visite quotidienne ��tait pass��e depuis longtemps, Paul, engag�� dans une dissertation des plus suggestives sur la prononciation du C dans les langues pr��-latines, eut un mouvement d'impatience et s'��cria vivement:
--Pourquoi ne vient-elle pas? Je veux qu'elle vienne!
Quelques secondes s'��coul��rent, puis j'entendis un bruit de pas pr��cipit��s, et d'une touffe de mimosas, l'enfant, ayant coup�� �� travers les massifs, surgit tr��s pale.
En m��me temps accourait l'oncle:
--Mais il n'y
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