La Vie de M. de Molière | Page 2

Jean-Léonor de Grimarest
ne peut taire que Boileau-Despréaux ne l'approuva pas lorsqu'il parut. Ce grand témoin, même incomparable, du génie de Molière, qu'il avait confessé plus hautement que personne, se prévalant de ce que Grimarest n'avait pas connu l'homme, contesta la vérité des détails biographiques, sans en infirmer ni rectifier aucun. Représentant des vieilles moeurs, janséniste et quelque peu septuagénaire, il devait juger puérile, condamnable même, cette singulière curiosité pour des faits et gestes de nature, en somme, à diminuer les idées de gravité et de respect. On n'est jamais que de son temps.
La mode a été, de nos jours, de rabaisser Grimarest et de déconsidérer son livre, comme insuffisant, par rapport aux recherches de documents originaux, inaugurées par Beffara, qui ont rendu possible un renouvellement de l'histoire de Molière, en fournissant de nouveaux points d'appui à ses futurs biographes. Cette inquisition de pièces d'état civil, d'archives, et d'actes notariés s'est produite, comme l'oeuvre de notre auteur, et se poursuit en temps favorable[2]. Si, par impossible, celui-ci en avait eu l'idée, avec le pouvoir de s'y livrer, et de la faire aboutir sur quelques points, il n'en e?t tiré que peu de profit, et d'honneur, encore moins. On le trouverait plus exact sur un petit nombre de noms et de dates, mais pas plus qu'aucun autre écrivain, en 1705, il n'e?t songé à tirer des conséquences, plus ou moins légitimes, à la moderne, de l'éducation si complète de Molière, de ses longues caravanes dramatiques dans les provinces, de l'inventaire après décès de son mobilier, et de ceux de ses ascendants ou descendants.
Il s'agit aujourd'hui, ce semble, de déterminer les éléments complexes dont se forma le génie du po?te comique. Pour Grimarest, la situation était tout autre, sinon plus simple. Ses contemporains s'inquiétaient surtout d'un Molière qui ne dément?t pas dans sa vie les idées de dignité, de noblesse d'ame, de bonté, de parfait bon sens qu'il leur inspirait par la lecture et la représentation de ses oeuvres. Ce Molière imaginé, ce Molière souhaité, avait été, par bonheur, le Molière réel, et Grimarest le leur donna conforme à la vérité, comme à leurs voeux. Il le leur donna sincèrement, en toute bonne foi, car les mémoires que lui fournit Baron exceptés, son livre n'est rien de plus qu'une enquête suivie, longue, minutieuse, sur les Actes de Molière, à la pluralité des voix.
Le nombre et la qualité des témoignages, c'est toute la critique du biographe; lui-même en convient, et ses aveux se réitèrent dans sa lettre, retrouvée, au président de Lamoignon, à propos d'une anecdote qui avait circulé sur quelques mots adressés par Molière au public, après l'interdiction de la seconde représentation du Tartufe[3]: ?Messieurs, nous comptions avoir l'honneur de vous donner la seconde représentation du Tartufe, mais M. le Président ne veut pas qu'on le joue.? Telle était, dans sa forme indécente, l'allocution arrangée par des esprits frondeurs, et que Grimarest avait rejetée de premier mouvement. Néanmoins, comme on le va voir, il ne se put mettre la conscience en repos qu'après en avoir ?approfondi la fausseté?, et interrogé à ce propos plus de vingt témoins. Voici cette pièce justificative de son honnêteté; elle est essentielle à toute nouvelle édition de son livre[4]:
A Monsieur le Premier Président de Lamoignon.
?MONSEIGNEUR,
?Je me donne l'honneur de vous envoyer l'article de la Vie de Molière, qui regarde le Tartuffe, sur ce que M. de Fontenelle m'a dit que vous doutiez de la discrétion et du respect que je devois avoir en rapportant ce fait. Vous n'ignorez pas, Monseigneur, tous les mauvais contes que l'on a faits sur cet endroit de la vie de Molière. J'en ai approfondi la fausseté avec soin; mais plus de vingt personnes m'ont assuré que la chose se passa à peu près comme je l'ai rendue, et j'ai cru qu'elle étoit d'autant plus véritable que dans le Menagiana, imprimé avec privilége en 1693, on a fait dire à M. Ménage, en parlant du Tartuffe: ?Je dis à M. le Premier Président de Lamoignon, lorsqu'il empêcha qu'on ne le jouat, que c'étoit une pièce dont la morale étoit excellente, et qu'il n'y avoit rien qui ne p?t être utile au public.? Vous voyez, Monseigneur, que j'ai supprimé ce nom illustre de mon ouvrage, et que j'ai eu l'attention de donner de la prudence et de la justice à sa défense du Tartuffe, par mes expressions. M. de Fontenelle qui a la même attention que moi pour tout ce qui vous regarde, Monseigneur, a jugé que j'avois bien manié cet endroit, puisqu'il a approuvé mon livre, qui est presque imprimé. Cependant, si vous jugez que je n'aye pas réussi ayez la bonté de me prescrire les termes et les expressions, et je ferai faire un carton[5]; le profond respect et le sincère attachement que j'ai depuis longtemps pour vous, Monseigneur, et pour toute votre illustre famille,
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