La Terre | Page 2

Emile Zola
donner le nom de Beauce pouilleuse. Lorsque Jean fut au bout du champ, il s'arr��ta encore, jeta un coup d'oeil en bas, le long du ruisseau de l'Aigre, vif et clair �� travers les herbages, et que suivait la route de Cloyes, sillonn��e ce samedi-l�� par les carrioles des paysans allant au march��. Puis, il remonta.
Et toujours, et du m��me pas, avec le m��me geste, il allait au nord, il revenait au midi, envelopp�� dans la poussi��re vivante du grain; pendant que, derri��re, la herse, sous les claquements du fouet, enterrait les germes, du m��me train doux et comme r��fl��chi. De longues pluies venaient de retarder les semailles d'automne; on avait encore fum�� en ao?t, et les labours ��taient pr��ts depuis longtemps, profonds, nettoy��s des herbes salissantes, bons �� redonner du bl��, apr��s le tr��fle et l'avoine de l'assolement triennal. Aussi la peur des gel��es prochaines, mena?antes �� la suite de ces d��luges, faisait-elle se hater les cultivateurs. Le temps s'��tait mis brusquement au froid, un temps couleur de suie, sans un souffle de vent, d'une lumi��re ��gale et morne sur cet oc��an de terre immobile. De toutes parts, on semait: il y avait un autre semeur �� gauche, �� trois cents m��tres, un autre plus loin, vers la droite; et d'autres, d'autres encore s'enfon?aient en face, dans la perspective fuyante des terrains plats. C'��taient de petites silhouettes noires, de simples traits de plus en plus minces, qui se perdaient �� des lieues. Mais tous avaient le geste, l'envol��e de la semence, que l'on devinait comme une onde de vie autour d'eux. La plaine en prenait un frisson, jusque dans les lointains noy��s, o�� les semeurs ��pars ne se voyaient plus.
Jean descendait pour la derni��re fois, lorsqu'il aper?ut, venant de Rognes, une grande vache rousse et blanche, qu'une jeune fille, presque une enfant, conduisait �� la corde. La petite paysanne et la b��te suivaient le sentier qui longeait le vallon, au bord du plateau; et, le dos tourn��, il avait achev�� l'emblave en remontant, lorsqu'un bruit de course, au milieu de cris ��trangl��s, lui fit de nouveau lever la t��te, comme il d��nouait son semoir pour partir. C'��tait la vache emport��e, galopant dans une luzerni��re, suivie de la fille qui s'��puisait �� la retenir. Il craignit un malheur, il cria:
--Lache-la donc!
Elle n'en faisait rien, elle haletait, injuriait sa vache, d'une voix de col��re et d'��pouvante.
--La Coliche! veux-tu bien, la Coliche!... Ah! sale b��te!... Ah! sacr��e rosse!
Jusque-l��, courant et sautant de toute la longueur de ses petites jambes, elle avait pu la suivre. Mais elle buta, tomba une premi��re fois, se releva pour retomber plus loin; et, d��s lors, la b��te s'affolant, elle fut tra?n��e. Maintenant, elle hurlait. Son corps, dans la luzerne, laissait un sillage.
--Lache-la donc, nom de Dieu! continuait �� crier Jean. Lache-la donc!
Et il criait cela machinalement, par terreur; car il courait lui aussi, en comprenant enfin: la corde devait s'��tre nou��e autour du poignet, serr��e davantage �� chaque nouvel effort. Heureusement, il coupa au travers d'un labour, arriva d'un tel galop devant la vache, que celle-ci, effray��e, stupide, s'arr��ta net. D��j��, il d��nouait la corde, il asseyait la fille dans l'herbe.
--Tu n'as rien de cass��?
Mais elle ne s'��tait pas m��me ��vanouie. Elle se mit debout, se tata, releva ses jupes jusqu'aux cuisses, tranquillement, pour voir ses genoux qui la br?laient, si essouffl��e encore, qu'elle ne pouvait parler.
--Vous voyez, c'est l��, ?a me pince... Tout de m��me, je remue, il n'y a rien... Oh! j'ai eu peur! Sur le chemin, j'��tais en bouillie!
Et, examinant son poignet forc��, cercl�� de rouge, elle le mouilla de salive, y colla ses l��vres, en ajoutant avec un grand soupir, soulag��e, remise:
--Elle n'est pas m��chante, la Coliche. Seulement, depuis ce matin, elle nous fait rager, parce qu'elle est en chaleur... Je la m��ne au taureau, �� la Borderie.
--A la Borderie, r��p��ta Jean. ?a se trouve bien, j'y retourne, je t'accompagne.
Il continuait �� la tutoyer, la traitant en gamine, tellement elle ��tait fine encore pour ses quatorze ans. Elle, le menton lev��, regardait d'un air s��rieux ce gros gar?on chatain, aux cheveux ras, �� la face pleine et r��guli��re, dont les vingt-neuf ans faisaient pour elle un vieil homme.
--Oh! je vous connais, vous ��tes Caporal, le menuisier qui est rest�� comme valet chez M. Hourdequin.
A ce surnom, que les paysans lui avaient donn��, le jeune homme eut un sourire; et il la contemplait �� son tour, surpris de la trouver presque femme d��j��, avec sa petite gorge dure qui se formait, sa face allong��e aux yeux noirs tr��s profonds, aux l��vres ��paisses, d'une chair fra?che et rose de fruit m?rissant. V��tue d'une jupe grise et d'un caraco de laine noire, la t��te coiff��e d'un bonnet rond, elle avait la peau tr��s brune, hal��e et dor��e de soleil.
--Mais tu es la cadette au p��re Mouche!
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