La San-Felice, Tome IV | Page 2

Alexandre Dumas, père
dépêche de l'empereur d'Autriche; le roi l'ouvrit
précipitamment et lut:
«Mon très-cher frère, cousin, oncle, beau-père, allié et confédéré.
»Laissez-moi vous féliciter bien sincèrement sur le succès de vos armes
et sur votre entrée triomphale à Rome...»
Le roi n'alla pas plus loin.
--Ah! bon! dit-il, en voilà une qui arrive à propos.
Et il remit la dépêche dans sa poche.
Puis, regardant autour de lui:
--Où est le courrier qui a apporté cette lettre? demanda-t-il.

--Me voici, sire, fit le courrier en s'approchant.
--Ah! c'est toi, mon ami? Tiens voilà pour ta peine, dit le roi en lui
donnant sa bourse.
--Votre Majesté me fera-t-elle l'honneur de me donner une réponse
pour mon auguste souverain.
--Certainement; seulement, je te la donnerai verbale, n'ayant pas le
temps d'écrire. N'est-ce pas, Mack, que je n'ai pas le temps?
Mack baissa la tête.
--Peu importe, dit le courrier; je peux répondre à Votre Majesté que j'ai
bonne mémoire.
--De sorte que tu es sûr de rapporter à ton auguste souverain ce que je
vais te dire?
--Sans y changer une syllabe.
--Eh bien, dis-lui de ma part, entends-tu bien? de ma part...
--J'entends, sire.
--Dis-lui que son frère et cousin, oncle et beau-père, allié et confédéré
le roi Ferdinand est un âne.
Le courrier recula effrayé.
--N'y change pas une syllabe, reprit le roi, et tu auras dit la plus grande
vérité qui soit jamais sortie de ta bouche.
Le courrier se retira stupéfié.
--Et maintenant, dit le roi, comme j'ai dit à Sa Majesté l'empereur
d'Autriche tout ce que j'avais à lui dire, partons.
--J'oserai faire observer à Votre Majesté, dit Mack, qu'il n'est pas

prudent de traverser la plaine de Rome en voiture.
--Et comment voulez-vous que je la traverse? A pied?
--Non, mais à cheval.
--A cheval! Et pourquoi cela, à cheval?
--Parce qu'en voiture, Votre Majesté est obligée de suivre les routes,
tandis qu'à cheval, au besoin, Votre Majesté peut prendre à travers les
terres; excellent cavalier comme est Votre Majesté, et montée sur un
bon cheval, elle n'aura point à craindre les mauvaises rencontres.
--Ah! malora! s'écria le roi, on peut donc en faire?
--Ce n'est pas probable; mais je dois faire observer à Votre Majesté que
ces infâmes jacobins ont osé dire que, si le roi tombait entre leurs
mains...
--Eh bien?
--Ils le pendraient au premier réverbère venu si c'était dans la ville, au
premier arbre rencontré si c'était en plein champ.
--Fuimmo, d'Ascoli! fuimmo!... Que faites-vous donc là-bas, vous
autres fainéants? Deux chevaux! deux chevaux! les meilleurs! C'est
qu'ils le feraient comme ils le disent, les brigands! Cependant, nous ne
pouvons pas aller jusqu'à Naples à cheval?
--Non, sire, répondit Mack; mais, à Albano, vous prendrez la première
voiture de poste venue.
--Vous avez raison. Une paire de bottes! Je ne peux pas courir la poste
en bas de soie. Une paire de bottes! Entends-tu, drôle?
Un valet de pied se précipita par les escaliers et revint avec une paire de
longues bottes.
Ferdinand mit ses bottes dans la voiture, sans plus s'inquiéter de son

ami d'Ascoli que s'il n'existait pas.
Au moment où il achevait de mettre sa seconde botte, on amena les
deux chevaux.
--A cheval, d'Ascoli! à cheval! dit Ferdinand. Que diable fais-tu donc
dans le coin de la voiture? Je crois, Dieu me pardonne, que tu dors!
--Dix hommes d'escorte, cria Mack, et un manteau pour Sa Majesté!
--Oui, dit le roi montant à cheval, dix hommes d'escorte et un manteau
pour moi.
On lui apporta un manteau de couleur sombre dans lequel il
s'enveloppa.
Mack monta lui-même à cheval.
--Comme je ne serai rassuré que quand je verrai Votre Majesté hors des
murs de la ville, je demande à Votre Majesté la permission de
l'accompagner jusqu'à la porte San-Giovanni.
--Est-ce que vous croyez que j'ai quelque chose à craindre dans la ville,
général?
--Supposons... ce qui n'est pas supposable...
--Diable! fit le roi; n'importe, supposons toujours.
--Supposons que Championnet ait eu le temps de faire prévenir le
commandant du château Saint-Ange, et que les jacobins gardent les
portes.
--C'est possible, cria le roi, c'est possible; partons.
--Partons, dit Mack.
--Eh bien, où allez-vous, général?

--Je vous conduis, sire, à la seule porte de la ville par laquelle on ne
supposera jamais que vous sortiez, attendu qu'elle est justement à
l'opposé de la porte de Naples; je vous conduis à la porte du Peuple, et,
d'ailleurs, c'est la plus proche d'ici; ce qui nous importe, c'est de sortir
de Rome le plus promptement possible; une fois hors de Rome, nous
faisons le tour des remparts, et, en un quart d'heure, nous sommes à la
porte San-Giovanni.
--Il faut que ces coquins de Français soient de bien rusés démons,
général, pour avoir battu un gaillard aussi fin que vous.
On avait fait du chemin pendant
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 79
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.