La San-Felice, Tome I | Page 2

Alexandre Dumas, père
Saxe, dure, avare, impérieuse et méchante.
Charles, en partant pour l'Espagne, jugea qu'il fallait nommer un
gouverneur au roi de Naples, encore enfant. La reine, qui avait la plus
grande confiance dans le gouvernement, mit cette place, une des plus
importantes, aux enchères publiques; le prince San-Nicandro fut le plus
fort enchérisseur et l'emporta.
»San-Nicandro avait l'âme la plus impure qui ait jamais végété dans la
boue de Naples; ignorant, livré aux vices les plus honteux, n'ayant
jamais rien lu de sa vie, que l'office de la Vierge, pour laquelle il avait
une dévotion toute particulière, qui ne l'empêchait pas de se plonger
dans la débauche la plus crapuleuse, tel est l'homme à qui l'on donna
l'importante mission de former un roi. On devine aisément quelles
furent les suites d'un choix pareil; ne sachant rien lui-même, il ne
pouvait rien enseigner à son élève; mais ce n'était point assez pour tenir
le monarque dans une éternelle enfance: il l'entoura d'individus de sa
trempe et éloigna de lui tout homme de mérite qui aurait pu lui inspirer
le désir de s'instruire; jouissant d'une autorité sans bornes, il vendait les
grâces, les emplois, les titres; voulant rendre le roi incapable de veiller
à la moindre partie de l'administration du royaume, il lui donna de
bonne heure le goût de la chasse, sous prétexte de faire ainsi sa cour au
père, qui avait toujours été passionné pour cet amusement. Comme si
cette passion n'eût pas suffi pour l'éloigner des affaires, il associa
encore à ce goût celui de la pêche, et ce sont encore ses divertissements
favoris.
»Le roi de Naples est fort vif, et il l'était encore davantage étant enfant:
il lui fallait des plaisirs pour absorber tous ses moments; son

gouverneur lui chercha de nouvelles récréations et voulut en même
temps le corriger d'une trop grande douceur et d'une bonté qui faisaient
le fond de son caractère. San-Nicandro savait qu'un des plus grands
plaisirs du prince des Asturies, aujourd'hui roi d'Espagne, était
d'écorcher des lapins; il inspira à son élève le goût de les tuer; le roi
allait attendre les pauvres bêtes à un passage étroit par lequel on les
obligeait de passer, et, armé d'une massue proportionnée à ses forces, il
les assommait avec de grands éclats de rire. Pour varier ce
divertissement, il prenait des chiens ou des chats et s'amusait à les
berner jusqu'à ce qu'ils en crevassent; enfin, pour rendre le plaisir plus
vif, il désira voir berner des hommes, ce que son gouverneur trouva très
raisonnable: des paysans, des soldats, des ouvriers et même des
seigneurs de la cour, servirent ainsi de jouet à cet enfant couronné; mais
un ordre de Charles III interrompit ce noble divertissement; le roi n'eut
plus la permission de berner que des animaux, à la réserve des chiens,
que le roi d'Espagne prit sous sa protection catholique et royale.
»C'est ainsi que fut élevé Ferdinand IV, à qui l'on n'apprit pas même à
lire et à écrire; sa femme fut sa première maîtresse d'école.»
LE ROI DE NAPLES CHASSEUR.
«Une telle éducation devait produire un monstre, un Caligula. Les
Napolitains s'y attendaient; mais la bonté naturelle de ce jeune
monarque triompha de l'influence d'une instruction si vicieuse; on
aurait eu avec lui un prince excellent s'il fût parvenu à se corriger de
son penchant pour la chasse et pour la pêche, qui lui ôtent bien des
moments qu'il pourrait consacrer avec utilité aux affaires publiques;
mais la crainte de perdre une matinée favorable pour son amusement le
plus cher est capable de lui faire abandonner l'affaire la plus importante,
et la reine et les ministres savent bien se prévaloir de cette faiblesse.
»Au mois de janvier 1788, Ferdinand tenait dans le palais de Caserte un
conseil d'État; la reine, le ministre Acton, Caracciolo et quelques autres
y assistaient. Il s'agissait d'une affaire de la plus grande importance. Au
milieu de la discussion, on entendit frapper à la porte; cette interruption
surprit tout le monde, et l'on ne pouvait concevoir quel était l'homme
assez hardi pour choisir un moment tel que celui-là; mais le roi s'élança

à la porte, l'ouvrit et sortit; il rentra bientôt avec les signes de la plus
vive joie et pria que l'on finît très-vite, parce qu'il avait une affaire
d'une tout autre importance que celle dont on s'entretenait; on leva le
conseil, et le roi se retira dans sa chambre pour se coucher de bonne
heure, afin d'être sur pied le lendemain avant le jour.
»Cette affaire à laquelle nulle autre ne pouvait être comparée était un
rendez-vous de chasse; ces coups donnés à la porte de la salle du
conseil étaient un signal convenu entre le roi et son piqueur, qui, selon
ses ordres, venait l'avertir qu'une troupe de sangliers avait été vue dans
la forêt à l'aube
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