LA. B. C. du libertaire | Page 2

Jules Lermina

dépouilles une fortune opulente, si tu prends pour objectif glorieux la
guerre des hommes contre les hommes, si tu rêves victoire, gloire et
domination, si tu rejettes tout scrupule, tout enseignement de
conscience, si tu pars de ce principe: «Chacun pour soi!» et que tu le
développes jusqu'à parfaites conclusions...
Alors tu deviendras riche--en face de la misère des autres--puissant par
l'abaissement et l'humiliation de tes congénères, tu jouiras de leurs
souffrances et vivras de leur mort, tu collectionneras les titres, les
privilèges, tu te chamarreras de décorations et tes complices te feront
de splendides funérailles...
Seulement tu seras un égoïste, un méchant, un véritable criminel...

Justement le contraire de ce qu'est et ce que doit-être un libertaire.
* * *
Car le libertaire est un juste, c'est-à-dire un homme qui est au-dessus et
en dehors de la Société, qui ne se paie pas des mots mensongers
d'honneur et de vertu, banalités qu'inventèrent les civilisés pour
dissimuler leurs tares et leurs vices, qui renie tous les faux
enseignements des philosophes menteurs et des théoriciens hypocrites,
qui n'accepte aucun compromis, aucun marché, aucune concession, qui
en un mot veut la justice, la seule justice, pour lui-même et pour tous,
contre tous et contre lui-même.
Défie-toi de toi-même, Camarade. Voici pourquoi.
Tu es venu sur cette terre avec les instincts de l'animalité dont tu
procèdes; tu descends d'êtres brutaux, ignorants, violents et ton
atavisme est fait de brutalité.
Chez ceux qui se croient les meilleurs, le fond est mauvais, d'abord
parce que l'homme est un animal en voie de perfectionnement, mais
non point parfait, mais encore et surtout parce que, dès ta naissance, tu
as respiré l'air empoisonné des civilisations, que tes yeux à peine
ouverts ont vu le mal, que tes oreilles ont entendu l'injustice et que,
malgré toi, et sans que, jusqu'ici, on puisse te déclarer tout à fait
responsable, tu es pénétré des vices sociaux, jusqu'au fond de tes
moelles.
On ne naît pas, on se fait libertaire.
Ne pas croire que soit facile ce travail de régénération personnelle. On
ne s'élève pas à la notion de justice par une sorte d'inspiration
miraculeuse, par une révélation d'en haut.
C'est par un effort constant, par une critique perpétuelle de soi-même,
par un examen toujours plus attentif des faits ambiants que peu à peu
on parvient à se débarrasser de la gangue de préjugés et de mensonges
formée par l'alluvion des siècles.

Un jour vient alors où soudain jaillit devant les yeux la lueur directrice.
Remarque bien ceci, Camarade, tu ne seras dans la bonne voie que
lorsque tu verras ta conscience. Cherche-la, trouve-la, ne te contente
pas d'un à peu près et alors même qu'elle te paraîtra pure et juste, aie le
courage de l'étudier toujours de plus près; et tu constateras qu'il est
encore bien des défauts à corriger, bien des fanges à nettoyer.
* * *
Débarrasse-toi de l'égoïsme.
Certes il est bon de se sentir heureux, il est bon de jouir de la vie.
Mais aie toujours présente à la pensée cette vérité que nul ne peut être
complètement heureux tant qu'il existe un seul être malheureux.
C'est là un de ces préceptes qui provoquent les haussements d'épaules
des philosophes sociaux; il semble que le bonheur individuel suffise à
satisfaire toutes les aspirations humaines. Meurent les autres, pourvu
que je vive.
Le raisonnement est à la fois inique et absurde.
Le malheur des uns constitue toujours un danger et une menace pour
les autres; une situation déséquilibrée est génératrice de réaction et
l'être le plus profondément, le plus insolemment égoïste doit compter
avec les revanches possibles et les retours offensifs des déshérités.
D'où une perpétuelle inquiétude, une sensation d'instabilité qui gâte la
jouissance...
Sans parler du sentiment de compassion dont on cherche à se défendre
par la charité mais qui subsiste au fond des consciences les plus
fermées en apparence aux émotions généreuses.
En réalité, dans l'état social actuel, nul ne peut, en parfaite sincérité, se
tenir pour sûr du lendemain; la lutte quotidienne produit de terribles
jeux de bascule et les plus hauts placés sont à la merci des chutes les

plus profondes.
Le libertaire veut un état social où l'envie, la jalousie, les pensées de
reprise n'aient plus de place, c'est-à-dire où tous, vivant dans la
plénitude de leur liberté, dans l'épanouissement total de leurs facultés,
dans la satisfaction intégrale de leurs besoins, n'aient plus à se disputer
les uns aux autres les moyens de vivre.
Ceci, cher Camarade, est l'antithèse absolue des doctrines autoritaires et
religieuses.
L'autorité n'est établie que pour sauvegarder, défendre et perpétuer les
inégalités sociales; la législation propriétaire, l'armée, la police, la
magistrature, les codes et les règlements n'ont été instituées que pour
cautionner l'état de déséquilibre qui a été imposé aux hommes par la
Société, pour enchaîner la liberté des uns au profit
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