Légendes rustiques | Page 2

Georges Sand
toute la France, un
mélange de terreur et d'ironie, une bizarrerie d'invention extraordinaire
jointe à un symbolisme naïf qui atteste le besoin du vrai moral au sein
de la fantaisie délirante.
Le Berry, couvert d'antiques débris des âges mystérieux, de tombelles,
de dolmens, de menhirs, et de mardelles[2], semble avoir conservé
dans ses légendes, des souvenirs antérieurs au culte des Druides:
peut-être celui des Dieux Kabyres que nos antiquaires placent avant
l'apparition des Kimris sur notre sol. Les sacrifices de victimes
humaines semblent planer, comme une horrible réminiscence, dans
certaines visions. Les cadavres ambulants, les fantômes mutilés, les
hommes sans tête, les bras ou les jambes sans corps, peuplent nos
landes et nos vieux chemins abandonnés.
Puis viennent les superstitions plus arrangées du moyen-âge, encore
hideuses, mais tournant volontiers au burlesque; les animaux
impossibles dont les grimaçantes figures se tordent dans la sculpture
romane ou gothique des églises, ont continué d'errer vivantes et
hurlantes autour des cimetières ou le long des ruines. Les âmes des
morts frappent à la porte des maisons. Le sabbat des vices personnifiés,
des diablotins étranges, passe, en sifflant, dans la nuée d'orage. Tout le
passé se ranime, tous les êtres que la mort a dissous, les animaux
mêmes, retrouvent la voix, le mouvement et l'apparence; les meubles,
façonnés par l'homme et détruits violemment, se redressent et grincent
sur leurs pieds vermoulus. Les pierres mêmes se lèvent et parlent au
passant effrayé; les oiseaux de nuit lui chantent, d'une voix affreuse,
l'heure de la mort qui toujours fauche et toujours passe, mais qui ne
semble jamais définitive sur la face de la terre, grâce à cette croyance
en vertu de laquelle tout être et toute chose protestent contre le néant et,
réfugiés dans la région du merveilleux, illuminent la nuit de sinistres
clartés ou peuplent la solitude de figures flottantes et de paroles
mystérieuses._
George SAND.
Quiconque voudra faire un travail sérieux et savant sur le centre de la
Gaule, devra consulter les excellents travaux de M. Raynal, l'historien

du Berry, le texte des Esquisses pittoresques de MM. de La Tremblays
et de La Villegille, les recherches de M. Laisnel de La Salle sur
quelques locutions curieuses, etc.
G.S.

Les Pierres-Sottes ou Pierres-Caillasses
«Quand nous vînmes à passer au long des pierres, dit Germain, il était
environ la minuit. Tout d'un coup, voilà qu'elles nous regardent _avec
des yeux_. Jamais, de jour, nous n'avions vu ça, et pourtant, nous
avions passé là plus de cent fois. Nous en avons eu la fièvre de peur,
plus de trois mois encore après moisson.»
Maurice SAND.
Au beau milieu des plaines calcaires de la vallée Noire, on voit se
creuser brusquement une zone jonchée de magnifiques blocs de granit.
Sont-ils de ceux que l'on doit appeler erratiques, à cause de leur
apparition fortuite dans des régions où ils n'ont pu être amenés que par
les eaux diluviennes des âges primitifs? Se sont-ils, au contraire,
formés dans les terrains où on les trouve accumulés? Cette dernière
hypothèse semble être démentie par leur forme; ils sont presque tous
arrondis, du moins sur une de leurs faces, et ils présentent l'aspect de
gigantesques galets roulés par les flots.
Il n'y a pourtant là maintenant que de charmants petits ruisseaux,
pressés et tordus en méandres infinis par la masse de ces blocs; ces
riantes et fuyardes petites naïades murmurent, à demi-voix et par
bizarres intervalles, des phrases mystérieuses dans une langue inconnue.
Ailleurs, les eaux rugissent, chantent ou gazouillent. Là elles parlent,
mais si discrètement que l'oreille attentive des sylvains peut seule les
comprendre. Dans les creux où leurs minces filets s'amassent, il y a
quelquefois des silences; puis quand la petite cave est remplie, le trop
plein s'élance et révèle, en quelques paroles précipitées, je ne sais quel
secret que les fleurs et les herbes, agitées par l'air qu'elles refoulent,

semblent saisir et saluer au passage.
Plus loin, ces eaux s'engouffrent et se perdent sous les blocs entassés:
Et là, profonde, Murmure une onde Qu'on en voit pas.
Sur ces roches humides, croissent les plantes également étrangères au
sol de la contrée. La ményanthe, cette blanche petite hyacinthe frisée et
dentelée, dont la feuille est celle du trèfle; la digitale pourprée, tachetée
de noir et de blanc, comme les granits où elle se plaît; la rosée du soleil
(rosea solis); de charmants saxifrages, et une variété de lierre à petites
feuilles, qui trace sur les blocs gris, de gracieuses arabesques où l'on
croit lire des chiffres mystérieux.
Autour de ce sanctuaire croissent des arbres magnifiques, des hêtres
élancés et des châtaigniers monstrueux. C'est dans un de ces bois
ondulés et semés de roches libres, comme celles de la forêt de
Fontainebleau, que je trouvai, une année, la végétation splendide et
l'ombre épaisse au point que le soleil, en plein midi, tamisé par le
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