Jean-nu-pieds, Vol. I | Page 2

Albert Delpit
vous enverrai Aubin pour la soutenir pendant la messe!
Si j'ajoute que le serviteur adorait son ma?tre, et les enfants de son ma?tre, avec l'admirable solidit�� des coeurs d��vou��s, le lecteur le conna?tra aussi bien que nous.
Il n'avait qu'un d��faut, c'��tait de dire souvent apr��s ses r��ponses:
--C'est mon opinion!
Cependant, malgr�� l'��touffante chaleur qu'il faisait ce jour-l��, sur la grande route, entre Ablon et Paris, les deux cavaliers pressaient leurs montures. On sentait qu'ils avaient hate d'arriver.
A trois heures de l'apr��s-midi, ils approchaient des murs de la capitale. Il y avait bien dans l'air de sourdes rumeurs, mais le ma?tre et le serviteur ne s'apercevaient de rien.
Ils ��taient tout entiers �� leur causerie.
--Aubin, mon gars, mon fils Louis est bien beau!
--Et M. Jean? monsieur le marquis.
--Tu aimes mieux Jean. C'est ton pr��f��r��, avoue-le.
--Non, mais... c'est mon opinion.
--Ch��re Marianne! Quel bonheur ce sera de la ramener �� Kardigan. J'ai hate de voir mon Philippe.
--M. le vicomte est tout le portrait de monsieur le marquis.
--Oui, mais Jean est celui de sa pauvre m��re. Crois-tu qu'ils s'attendent �� me voir?
Avant qu'Aubin ait pu r��pondre, une formidable rumeur traversa l'air et vint frapper les oreilles des voyageurs.
--As-tu entendu, Aubin? demanda le marquis.
--Oui, monsieur.
Mais comme le vieillard parlait de ses enfants, il devint indiff��rent aux choses ext��rieures.
Cependant il devait ��videmment se passer quelque chose dans Paris.
--Chers enfants! murmura M. de Kardigan, je sens mon coeur battre �� la pens��e de les serrer dans mes bras! Sais-tu que voil�� cinq ans que je ne les ai vus! Le service du roi avant tout. Ils seront heureux, n'ayant pas, comme moi, �� vivre dans des temps de tourmente et de folie!...
Une larme glissa sur la joue rid��e du marquis. Mais il se redressa sur son cheval, comme s'il avait honte de ce moment de faiblesse.
--Allons! un temps de galop, Aubin, mon gars; nous les reverrons plus t?t!
Les deux chevaux, vigoureusement ��peronn��s, franchirent un kilom��tre avec la rapidit�� de l'��clair.
Tout �� coup M. de Kardigan entendit �� l'horizon un cr��pitement sourd et continu.
--Hol��, Aubin! ��coute-moi cette musique-l��, dit-il. Est-ce qu'on ne dirait pas d'une fusillade?
--C'est mon opinion, monsieur le marquis.
--Plus vite, alors, plus vite!
Les deux cavaliers se lanc��rent �� fond de train dans la direction de Paris.
Bient?t, la route pr��senta un aspect lugubre et terrible: on voyait passer des bless��s sur des civi��res, et le bruit des coups de fusil, auxquels se m��lait de temps �� autre la puissante voix du canon, domina les vocif��rations et les cris de d��sespoir.
Ils entraient �� ce moment dans Paris. En quelques minutes le faubourg fut travers��.
A l'entr��e de la rue Saint-Antoine, le marquis et Aubin s'arr��t��rent court en face d'une barricade qui leur coupait le chemin.
Cette barricade ��tait d��fendue par une trentaine d'ouvriers qui se battaient comme des lions, et attaqu��e avec non moins d'h��ro?sme, par le 17e de ligne. Les balles sifflaient autour du gentilhomme et du paysan.
Mais ni l'un ni l'autre ne savaient ce que c'��tait que la peur. Ignorants des nouvelles politiques, ils ne comprenaient rien �� ce qui se passait.
Tout �� coup, un groupe d'ouvriers aper?ut les cavaliers.
Aussit?t ils les entour��rent, et l'un d'eux appuyant son fusil sur la poitrine de M. de Kardigan, lui dit:
--Citoyen, crie: Vive la R��publique!
Le vieux gentilhomme fit faire un bond terrible �� son cheval.
Aussit?t vingt fusils s'abattirent, pr��ts �� le tuer.
Mais le marquis avait fait un signe ��nergique �� Aubin.
Tous les deux enfonc��rent leurs ��perons dans le ventre de leurs chevaux, qui saut��rent la barricade avec rage.
Alors M. de Kardigan souleva son chapeau, et d��couvrant ses cheveux blancs, o�� se jouaient de lumineux rayons de soleil:
--Vive le Roi! dit-il lentement.

II
LA PREMI��RE JOURN��E.
Trente coups de fusil tir��s par les r��volutionnaires envelopp��rent les deux royalistes d'un ��pais nuage de poudre.
Sur l'ordre des officiers, les soldats du 17e cess��rent leur feu.
Quand cette fum��e fut dissip��e, les deux chevaux ��taient tu��s, Aubin avait une balle dans le bras; mais le marquis demeurait intact.
Le gentilhomme et le paysan jet��rent le m��me cri:
--Un fusil!
D��s lors l'attaque de la barricade recommen?a. Rien n'��tait chang��, sinon que le 17e comptait deux soldats de plus. Quand vint le soir, les ouvriers ��taient repouss��s: vainqueurs et vaincus soignaient indistinctement les bless��s, chacun de leur c?t��, sans s'occuper de savoir s'ils portaient un pantalon rouge, une blouse ou un paletot.
Il sortait de la grande ville, accroupie dans le sang, ce grondement sourd, semblable aux rumeurs d'une colossale ruche d'abeilles; mais on sentait planer sur ces murailles silencieuses ce je ne sais quoi de lugubre que donnent les guerres civiles.
Aubin Ploguen avait envelopp�� son bras, soigneusement pans��, dans un foulard attach�� �� son cou. Sa blessure l'inqui��tait �� peu pr��s autant qu'une piq?re d'��pingle.
Sombre, M. de Kardigan marchait dans la rue, les yeux sur le sol, o�� la lutte de la journ��e se lisait en lettres rouges. Il avait vu le 10 ao?t auquel il
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