Jacques Cartier | Page 2

Émile Chevalier
jusqu'à ce jour.
Une statue à Jacques Cartier, au découvreur du Canada!
H. EMILE CHEVALIER.
Paris, 2 janvier 1866.

AU LECTEUR.
Dans un cadre de pure imagination, l'auteur de ce livre a tenté de mettre en relief la belle
et noble figure de Jacques Cartier; il a tenté aussi de tracer une esquisse des moeurs
bretonnes et de Saint-Malo au seizième siècle. Néanmoins, autant qu'il a été en son
pouvoir, il s'est, avec grand scrupule, conformé à la vérité historique. Facilement, il
l'espère, le lecteur discernera la réalité de la fiction à travers la gaze légère répandue sur
l'ensemble de l'oeuvre, pour en marier toutes les parties. En cela, l'auteur s'est proposé de
faire lire le récit de nos grandes découvertes maritimes aux personnes qui se sentent peu
dégoût pour les anciennes chroniques. Puisse la réussite égaler son intention!
19 février 1868.

JACQUES CARTIER

PROLOGUE.
LA MORT D'UN AVENTURIER.

Le soleil brille dans toute sa glorieuse splendeur; le ciel est pur, d'une sérénité parfaite;
pas un nuage léger, cotonneux, pas une tache ne trouble son éblouissant azur; la
transparence de l'atmosphère ne saurait être surpassée que par son incroyable sonorité;
calme, immobile, l'air semble comme arrêté dans l'espace; jamais les heureuses contrées
napolitaines n'offrirent au regard enchanté des régions éthérées plus brillantes; jamais
Olympe plus souriant n'inspira la Muse antique; jamais d'une main plus délicate, plus
caressante, l'Aurore aux doigts de rose n'ouvrit les portes de l'Orient.
Saisissant, effroyable contraste, toutefois!
Ce ciel, il a l'éclat, l'inflexibilité, je pourrais dire le tranchant du métal. Que de sa voûte
immense, incommensurable, votre oeil s'abaisse sur la terre, et, partout autour de lui, à la
place d'opulentes frondaisons, aux nuances diverses, harmonieusement fondues, à la
place de fleurs chatoyantes et variées, de fruits savoureux, de pourpre et d'or, il ne
rencontrera, que désolante uniformité; il s'aveuglera aux brûlantes réverbérations d'une
nappe d'argent mat, qui s'allonge, s'allonge monotone et s'allonge encore, jusqu'aux
bornes de l'horizon.
Alors, vous maudirez les magnifiques rayons de l'astre diurne; alors, vous alliez horreur
de ce bleu intact qui lui sert de cadre, de la solennelle quiétude dont vous êtes environné;
alors, peut-être, vous surprendrez-vous à faire des voeux pour que les nuées, les
brouillards, la bruine, voire les ouragans, les tempêtes de neige succèdent brusquement à
ces décevantes promesses d'une belle journée de juillet.
C'est que, hélas! nous ne sommes ni en été, ni sous le fortuné climat de l'Ausonie, mais,
en plein hiver, dans le vestibule même du sauvage empire hyperboréen.
Cette plaine d'albâtre, qui sans fin se déploie devant nous, c'est l'océan Atlantique, au 50°
parallèle de latitude nord environ; c'est la mer figée, solidifiée par le froid, sur une
étendue de plusieurs lieues, dans une des vastes baies septentrionales de l'Ile de
Baccaléos ou Terre-neuve[4].
[Note 4: Voir la Fille des Indiens rouges par H. E. Chevalier.]
Et quel froid!
Malgré ce soleil si insolemment provocateur; ce ciel si railleusement en tenue de fête;
malgré cette atmosphère si traîtreusement séduisante, il gèle à pierre fendre, sans
métaphore aucune:--le thermomètre est descendu à 33° au-dessous de zéro.
Aussi, quoique la vue porte loin et très-loin, n'aperçoit-on d'abord signe de vie humaine
ou animale dans cette vaste solitude, dont la blancheur marmoréenne, la rigidité
sépulcrale apparaissent comme un suaire jeté sur la création terrestre, immolée aux
rigueurs de quelque farouche divinité polaire.
Mais regardons encore, regardons mieux. Ne semble-t-il pas que, là-bas, tout là-bas, du
sein d'un monticule de glaçons, jaillit un mince filet de vapeur? Avançons. Cette vapeur
prend des formes, dessine ses contours; elle monte en spirale; de grise elle devient

bleuâtre. Ce n'est donc pas une de ces brumes follettes que l'on voit souvent, dans le
royaume boréal, surgir des crevasses ouvertes par le froid à travers les congélation?. Mais
c'est de la fumée, la fumée d'un feu de branchages. Le désert est habité. Poursuivons
notre route dans cette direction et, bientôt, nous nous heurtons au pied d'une véritable
bastille de glace. Une rayure brunâtre, serpentant jusqu'au sommet, indique un sentier. En
deux minutes, ce sentier est parcouru et voici se présenter un bien curieux spectacle.
Dans l'enceinte des banquises, entassées les unes sur les autres, à plus de cinquante pieds
de profondeur, se trouve pris, scellé comme dans une inébranlable muraille de granit, un
navire jaugeant soixante dix à quatre-vingts tonneaux, sur le pont duquel est construite
une cabane provisoire, qui occupe tout l'espace compris entre les deux gaillards. Du
milieu de cette cabane s'élance une haute cheminée, et aux deux extrémités se dressent les
deux mâts du vaisseau, dont on a abattu les huniers jusqu'aux chouquets.
Inutile d'ajouter que les parties visibles du bâtiment, la cabane, les mâts, la cheminée
même, sont revêtues d'une épaisse couche de cristaux superposés, qui scintillent comme
des milliers de pierreries aux rayons du soleil.
Si
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