Humoresques | Page 3

Tristan Klingsor
au sucre?Et tarte à la crème;?La tulipe jaune se fane?En son verre de Bohême;?Madame pianote et montre en jouant?La plus jolie nuque.
Digérons: cette heure est vraiment?Exquise;?Un peu de rêve sous la lampe flotte?Et je me grise?De l'odeur de cette nuque en fleur;?Madame joue un air ancien,?Un air tendre et cajoleur?De gavotte;?Monsieur descend faire pisser le chien.
Chère ame, voici l'instant propice,?Puisque la bonne est sortie elle aussi:?Aimiez-vous de la sorte, ? Juliette ou Lucie?Ou douce Bérénice??Car notre amour enfin ne conna?t plus de bornes,?Et que le diable perde ses cornes?Si ma main partout ne se glisse ...
Mais la clé grince:?La tulipe d'effroi?Meurt et s'effeuille;?Prudent et sans plus attendre?Je m'enfonce dans le fauteuil?Et madame de ses beaux doigts minces?Reprend innocemment ce motif d'autrefois,?Cette gavotte adorable et tendre,--?De Philidor, je crois.
LA BRETELLE CASSéE
Messieurs, arrêtez-vous de grace!?Que le diable m'emporte,?Ma bretelle casse,?Et je perds, je crois bien, ma culotte.
Si vous riez encore, Aminte,?Je ne serai pas dupe;?Je le dis à maints et maintes,?Et pendu sois-je si je mens:?L'astre le plus charmant?Que j'aie vu, je le vis sous vos jupes ...
Mais fi! de l'indiscret?Et trêve à ces réalités?Qu'en dévot j'adorais;?La lune se lève:?Mes belles dames, permettez?Que j'accroche à sa corne dans ce soir d'été?Tout mon rêve.
MATINES
Il a plu. Que l'odeur de la fleur de sureau?Est délicieuse ce matin!?Le soleil dans la brume demeure incertain?Et les corolles sont encore pleines d'eau.
Où irons-nous??Le vent est d'est: n'entends-tu pas sonner les cloches??Le rideau de nuages se dénoue?Et le brouillard dans la vallée s'effiloche.
A Saint-Aubin, à Ons-en-Bray,?A Espaubourg aussi, partout voici matines:?Quel amoureux regret,?Chère hypocrite, te retient donc sous la courtine?
MADEMOISELLE ROSE
Une petite prise, mademoiselle Rose,?Une petite prise de vieux tabac fin:?A notre age, eh! eh! c'est chose?Plus chère qu'un sachet de parfum.
?a pique et c'est délicieux?Mademoiselle Rose, vous savez bien;??a pique et ?a met une larme aux yeux,?Pour rien en somme, pour rien ...
Autrefois c'était une fra?che rose?Que je vous offrais, et cela aussi,?Cela aussi, mademoiselle Rose,?Mettait une larme claire entre vos cils.
Mais maintenant vous avez bonnet et jupe?A la mode ancienne:?Hélas! nous sommes restés tous deux dupes?De nos mutuelles antiennes.
Et maintenant quand on cause,?Et maintenant que voulez-vous qu'on dise??Une petite prise, allons, mademoiselle Rose,?Une petite prise ...
LE GAR?ON MEUNIER
La lune est encore sur le clocher;?La route est grise dans l'air dense;?Le meunier balaie le plancher;?La pelote roule et le chat danse.
Je regarde en chemise à travers la vitre?Le paysage obscurci;?Ah! qui donc siffle ainsi une chanson au loin??Il me semble que le moulin?Bat plus vite?Et mon coeur aussi.
Une fenêtre s'est ouverte à petit bruit:?Belle meunière, est-ce la v?tre??La lune en rit,?La lune haute?Dans le vieux ciel couleur de taupe?Et de souris.
Votre bonhomme de mari trotte au grenier?Et le gendarme dort comme un loir dans son lit;?Le rat grignote, le chat joue?Et seul en chemise et rêvant de vous,?Je m'enrhume, ? très jolie:?Mais où est le gar?on meunier?
SOUS LA CENDRE
La pluie peut tomber plus fort?Du ciel monotone;?Les larmes peuvent descendre?Le long des joues?Et cet amour peut être mort;?L'eau dans le pot chantonne?Et bout toujours?Sous la cendre.
Et moi aussi malgré?La rose à jamais morte dans l'automne d'or?Et que de plus en plus ce poil gris pousse,?Je chante encore,?Et comme un baladin qui fait danser un ours?Sur le pré,?Je tra?ne en souriant un coeur désespéré.
LA CHAMADE
Que le bassoniste?Sur l'ut grave de la sérénade?Insiste,?Et voici le coeur qui bat la chamade.
Ah! quel trictrac sentimental et tendre?Se cache sous ce sein fleuri;?Jamais Clitandre ni Cassandre.?N'en sauront le prix.
Mais moi, très chère?Chaque soir j'essaie d'accorder mon ame?A votre subtil sourire,?Et très dévotement je vous révère,?A l'égal de la dame?De Tyr.
LE CHEF D'ORCHESTRE
Le chef d'orchestre à perruque blanche?Et menton mal rasé bleuté de barbe grise?A troussé la dentelle de sa manche?Pour humer une dernière prise.
Il a cogné sur le pupitre à musique?Son minuscule baton d'ivoire;?La contrebasse a rajusté ses bésicles?Et les danseurs les roses de leurs habits noirs.
Voici que les archets réveillés vont et viennent?Pour jouer de vieux airs oubliés,?Et les violons avec leurs danses anciennes?Font courir les petits souliers.
Les cavaliers se penchent un peu?Sur les épaules émergeant des velours?Et murmurent de tendres aveux?Et des propos spécieux d'amour.
Les tailles souples se ploient,?Les mains se serrent plus doucement?Et sous les flottantes cravates de soie?Battent plus fort les coeurs des amants.
Mais comme le chef d'orchestre comique et discret?A cessé de gesticuler en mesure,?Les petits souliers s'arrêtent à regret?Et les couples s'en vont dans les embrasures.
C'est l'heure où les amoureux demeurent songeant?Et chuchotent tout bas dans l'ombre des croisées:?Le chef d'orchestre en sa tabatière d'argent?A repris du fin tabac d'Espagne à priser.
VUILLARD
La douceur des pantoufles de laine?Qu'une chère main a brodées de fleurs?Et la tiédeur du thé qui s'évapore,?O mon amie,?Réchauffent mon corps,?Réchauffent mon coeur?A demi endormis.
Tout autour de nous le souvenir tra?ne?Ainsi qu'un chat maigre sur le plancher;?Tout autour de nous le souvenir r?de?Et l'antique marbre noir est jonché?Des clairs pétales jaunes?D'une rose.
La nudité sournoise de
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