Histoire dun Casse-noisette | Page 3

Alexandre Dumas, père
trépignements, sortait de son cabinet, et, levant l'index de la main droite à la hauteur de son sourcil froncé, disait ces seules paroles:
--Monsieur Fritz!...
Alors Fritz se sentait pris d'une énorme envie de rentrer sous terre.
Quant à sa mère, il va sans dire qu'à quelque hauteur qu'elle levat le doigt ou même la main, Fritz n'y faisait aucune attention.
Sa soeur Marie, tout au contraire, était une frêle et pale enfant, aux longs cheveux bouclés naturellement et tombant sur ses petites épaules blanches, comme une gerbe d'or mobile et rayonnante sur un vase d'albatre. Elle était modeste, douce, affable, miséricordieuse à toutes les douleurs, même à celles de ses poupées; obéissante au premier signe de madame la présidente, et ne donnant jamais un démenti même à sa gouvernante, mademoiselle Trudchen; ce qui fait que Marie était adorée de tout le monde.
Or, le 24 décembre de l'année 17... était arrivé. Vous n'ignorez pas, mes petits amis, que le 24 décembre est la veille de la No?l, c'est-à-dire du jour où l'enfant Jésus est né dans une crèche, entre un ane et un boeuf. Maintenant, je vais vous expliquer une chose.
Les plus ignorants d'entre vous ont entendu dire que chaque pays a ses habitudes, n'est-ce pas? et les plus instruits savent sans doute déjà que Nuremberg est une ville d'Allemagne fort renommée pour ses joujoux, ses poupées et ses polichinelles, dont elle envoie de pleines caisses dans tous les autres pays du monde; ce qui fait que les enfants de Nuremberg doivent être les plus heureux enfants de la terre, à moins qu'ils ne soient comme les habitants d'Ostende, qui n'ont des hu?tres que pour les regarder passer.
Donc, l'Allemagne, étant un autre pays que la France, a d'autres habitudes qu'elle. En France, le premier jour de l'an est le jour des étrennes, ce qui fait que beaucoup de gens désiraient fort que l'année commen?at toujours par le 2 janvier. Mais, en Allemagne, le jour des étrennes est le 24 décembre, c'est-à-dire la veille de la No?l. Il y a plus, les étrennes se donnent, de l'autre c?té du Rhin, d'une fa?on toute particulière: on plante dans le salon un grand arbre, on le place au milieu d'une table, et à toutes ses branches on suspend les joujoux que l'on veut donner aux enfants; ce qui ne peut pas tenir sur les branches, on le met sur la table; puis on dit aux enfants que c'est le bon petit Jésus qui leur envoie leur part des présents qu'il à re?us des trois rois mages, et, en cela, on ne leur fait qu'un demi-mensonge, car, vous le savez, c'est de Jésus que nous viennent tous les biens de ce monde.
Je n'ai pas besoin de vous dire que, parmi les enfants favorisés de Nuremberg, c'est-à-dire parmi ceux qui à la No?l recevaient le plus de joujoux de toutes fa?ons, étaient les enfants du président Silberhaus; car, outre leur père et leur mère qui les adoraient, ils avaient encore un parrain qui les adorait aussi et qu'ils appelaient parrain Drosselmayer.
Il faut que je vous fasse en deux mots le portrait de cet illustre personnage, qui tenait dans la ville de Nuremberg une place presque aussi distinguée que celle du président Silberhaus.
Parrain Drosselmayer conseiller de médecine, n'était pas un joli gar?on le moins du monde, tant s'en faut. C'était un grand homme sec, de cinq pieds huit pouces, qui se tenait fort vo?té, ce qui faisait que, malgré ses longues jambes, il pouvait ramasser son mouchoir, s'il tombait à terre, presque sans se baisser. Il avait le visage ridé comme une pomme de reinette sur laquelle a passé la gelée d'avril. A la place de son oeil droit était un grand emplatre noir; il était parfaitement chauve, inconvénient auquel il parait en portant une perruque gazonnante et frisée, qui était un fort ingénieux morceau de sa composition fait en verre filé; ce qui le for?ait, par égard pour ce respectable couvre-chef, de porter sans cesse son chapeau sous le bras. Au reste, l'oeil qui lui restait était vif et brillant, et semblait faire non seulement sa besogne, mais celle de son camarade absent, tant il roulait rapidement autour d'une chambre dont parrain Drosselmayer désirait d'un seul regard embrasser tous les détails, ou s'arrêtait fixement sur les gens dont il voulait conna?tre les plus profondes pensées.
Or, le parrain Drosselmayer qui, ainsi que nous l'avons dit, était conseiller de médecine, au lieu de s'occuper, comme la plupart de ses confrères, à tuer correctement, et selon les règles, les gens vivants, n'était préoccupé que de rendre, au contraire, la vie aux choses mortes, c'est-à-dire qu'à force d'étudier le corps des hommes et des animaux, il était arriv conna?tre tous les ressorts de la machine, si bien qu'il fabriquait des hommes qui marchaient, qui saluaient, qui faisaient des armes; des dames qui dansaient,
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