Gaspard de la nuit

Louis Bertrand
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Gaspard de la nuit

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Title: Gaspard de la nuit Fantaisies a la maniere de Rembrandt et de Callot
Author: Louis Bertrand
Release Date: February 7, 2006 [EBook #17708]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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GASPARD DE LA NUIT
PAR
LOUIS BERTRAND
FANTAISIES A LA MANIèRE DE REMBRANDT ET DE CALLOT
PARIS 1845
* * * * *
Ami, te souviens-tu qu'en route pour Cologne, Un dimanche, à Dijon, au coeur de la Bourgogne, Nous allions admirant clochers, portails et tours, Et les vieilles maisons dans les arrière-cours?
SAINTE-BEUVE.--Les Consolations.
Gothique Donjon Et Flèche gothique[1]. Dans un ciel d'optique, Là-bas, c'est Dijon. Ses joyeuses treilles N'ont point leurs pareilles; Ses clochers jadis Se comptaient par dix.
Là, plus d'une pinte Rat sculptée ou peinte; là, plus d'un portail S'ouvre en éventail. Dijon, moult te tarde![2] Et mon luth camard Chante ta moutarde Et ton Jacquemart!
J'aime Dijon comme l'enfant sa nourrice dont il a sucé le lait, comme le poète la jouvencelle qui a initié son coeur.--Enfance et poésie! Que l'une est éphemère, et que l'autre est trompeuse! L'enfance est un papillon qui se hate de br?ler ses blanches ailes aux flammes de la jeunesse, et la poésie est semblable à l'amandier: ses fleurs sont parfumées et ses fruits sont amers.
J'étais un jour assis à l'écart dans le jardin de l'Arquebuse,--ainsi nommé de l'arme qui autrefois y signala si souvent l'adresse des chevaliers du Papeguay. Immobile sur un banc, on e?t pu me comparer à la statue du bastion Bazire. Ce chef-d'oeuvre du figuriste Sévallée et du Peintre Guillot représentait un abbé assis et lisant. Rien ne manquait à son costume. De loin, on le prenait pour un personnage; de près, on voyait que c'était un platre.
La toux d'un promeneur dissipa l'essaim de mes rêves. C'était un pauvre diable dont l'extérieur n'annon?ait que misères et souffrances. J'avais déjà remarqué, dans le même jardin, sa rodingote* rapée qui se boutonnait jusqu'au menton, son feutre déformé que jamais brosse n'avait brossé, ses cheveux longs comme un saule, et peignés comme des broussailles, ses mains décharnées, paeilles à des ossuaires, sa physionomie narquoise, chafouine et maladive qu'effilait une barbe nazaréenne; et mes conjectures l'avaient charitablement rangé parmi ces artistes aux petit-pied, joueurs de violon et peintres de portraits, qu'une faim irrassasiable et une soif inextinguible condamnent à courir le monde sur la trace du Juif-errant.
Nous étions maintenant deux sur le banc. Mon voisin feuilletait un livre des pages duquel s'échappa à son insu une fleur desséchée. Je la recueillis pour la lui rendre. L'inconnu me saluant la porta à ses lèvres flétries, et la repla?a dans le livre mystérieux.
--?Cette fleur, me hasardai-je à lui dire, est sans doute le symbole de quelque doux amour enseveli? Hélas! nous avons tous dans le passé un jour de bonheur qui nous désenchante l'avenir.
--Vous êtes poète? me répondit-il en souriant.?
Le fil de la conversation s'était noué: maintenant, sur quelle bobine allait-il s'envider?
--?Poète, si c'est poète que d'avoir cherché l'art!
--Vous avez cherché l'art! Et l'avez-vous trouvé?
--Pl?t au ciel que l'art ne f?t pas une chimère!
--Une chimère!... et moi aussi je l'ai cherché!? s'écria-t-il avec l'enthousiasme du génie et l'emphase du triomphe.
Je le priai de m'apprendre à quel lunetier il devait sa découverte, l'art ayant été pour moi ce qu'est une aiguille dans une meule de foin....
--?J'avais résolu, dit-il, de chercher l'art comme au moyen-age les rose-croix cherchèrent la pierre philosophale; l'art, cette pierre philosophale du dix-neuvième siècle!
?Une question exer?a d'abord ma scolastique. Je me demandai: Qu'est-ce que l'art?--L'art est la science du poète.--Définition aussi limpide qu'un diamant de la plus belle eau.
?Mais quels sont les éléments de l'art? Seconde question à laquelle j'hésitai pendant plusieurs mois de répondre.--Un soir qu'à la fumée d'une lampe je fossoyais le poudreux charnier d'un bouquiniste, j'y déterrai un petit livre en langue baroque et inintelligible, dont le titre s'armoriait d'un amphistère déroulant sur une banderolle ces deux mots: Gott--Liebe. Quelques sous payèrent ce trésor. J'escaladai ma mansarde, et là, comme j'épelais curieusement le livre énigmatique, devant la fenêtre baignée d'un clair de lune, soudain il me sembla que le doigt de Dieu effleurait le clavier de l'orgue universel. Ainsi les phalènes bourdonnantes se dégagent du sein des fleurs qui pament leurs lèvres aux baisers de la nuit. J'enjambai la fenêtre, et je regardai en bas. O surprise! rêvais-je? Une terrasse que je n'avais pas soup?onnée aux suaves émanations de ses orangers, une jeune fille vêtue de blanc, qui jouait de la harpe, un vieillard vêtu de noir qui priait à
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