Fort comme la mort

Guy de Maupassant
Fort comme la mort

The Project Gutenberg EBook of Fort comme la mort, by Guy de
Maupassant This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost
and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it
away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License
included with this eBook or online at www.gutenberg.net
Title: Fort comme la mort
Author: Guy de Maupassant
Release Date: March 5, 2004 [EBook #11450]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FORT
COMME LA MORT ***

Produced by Miranda van de Heijning, Renald Levesque and PG
Distributed Proofreaders. This file was produced from images
generously made available by the Bibliotheque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.

GUY DE MAUPASSANT

FORT COMME LA MORT
PREMIÈRE PARTIE
I
Le jour tombait dans le vaste atelier par la baie ouverte du plafond.
C'était un grand carré de lumière éclatante et bleue, un trou clair sur un
infini lointain d'azur, où passaient, rapides, des vols d'oiseaux.
Mais à peine entrée dans la haute pièce sévère et drapée, la clarté
joyeuse du ciel s'atténuait, devenait douce, s'endormait sur les étoffes,
allait mourir dans les portières, éclairait à peine les coins sombres où,
seuls, les cadres d'or s'allumaient comme des feux. La paix et le
sommeil semblaient emprisonnés là dedans, la paix des maisons
d'artistes où l'âme humaine a travaillé. En ces murs que la pensée habite,
où la pensée s'agite, s'épuise en des efforts violents, il semble que tout
soit las, accablé, dès qu'elle s'apaise. Tout semble mort après ces crises
de vie; et tout repose, les meubles, les étoffes, les grands personnages
inachevés sur les toiles, comme si le logis entier avait souffert de la
fatigue du maître, avait peiné avec lui, prenant part, tous les jours, à sa
lutte recommencée. Une vague odeur engourdissante de peinture, de
térébenthine et de tabac flottait, captée par les tapis et les sièges; et
aucun autre bruit ne troublait le lourd silence que les cris vifs et courts
des hirondelles qui passaient sur le châssis ouvert, et la longue rumeur
confuse de Paris à peine entendue par-dessus les toits. Rien ne remuait
que la montée intermittente d'un petit nuage de fumée bleue s'élevant
vers le plafond à chaque bouffée de cigarette qu'Olivier Bertin, allongé
sur son divan, soufflait lentement entre ses lèvres.
Le regard perdu dans le ciel lointain, il cherchait le sujet d'un nouveau
tableau. Qu'allait-il faire? Il n'en savait rien encore. Ce n'était point
d'ailleurs un artiste résolu et sûr de lui, mais un inquiet dont
l'inspiration indécise hésitait sans cesse entre toutes les manifestations
de l'art. Riche, illustre, ayant conquis tous les honneurs, il demeurait,
vers la fin de sa vie, l'homme qui ne sait pas encore au juste vers quel
idéal il a marché. Il avait été prix de Rome, défenseur des traditions,
évocateur, après tant d'autres, des grandes scènes de l'histoire; puis,

modernisant ses tendances, il avait peint des hommes vivants avec des
souvenirs classiques. Intelligent, enthousiaste, travailleur tenace au rêve
changeant, épris de son art qu'il connaissait à merveille, il avait acquis,
grâce à la finesse de son esprit, des qualités d'exécution remarquables et
une grande souplesse de talent née en partie de ses hésitations et de ses
tentatives dans tous les genres. Peut-être aussi l'engouement brusque du
monde pour ses oeuvres élégantes, distinguées et correctes, avait-il
influencé sa nature en l'empêchant d'être ce qu'il serait normalement
devenu. Depuis le triomphe du début, le désir de plaire toujours le
troublait sans qu'il s'en rendît compte, modifiait secrètement sa voie,
atténuait ses convictions. Ce désir de plaire, d'ailleurs, apparaissait chez
lui sous toutes les formes et avait contribué beaucoup à sa gloire.
L'aménité de ses manières, toutes les habitudes de sa vie, le soin qu'il
prenait de sa personne, son ancienne réputation de force et d'adresse,
d'homme d'épée et de cheval, avaient fait un cortège de petites
notoriétés à sa célébrité croissante. Après Cléopâtre, la première toile
qui l'illustra jadis, Paris brusquement s'était épris de lui, l'avait adopté,
fêté, et il était devenu soudain un de ces brillants artistes mondains
qu'on rencontre au bois, que les salons se disputent, que l'Institut
accueille dès leur jeunesse. Il y était entré en conquérant avec
l'approbation de la ville entière.
La fortune l'avait conduit ainsi jusqu'aux approches de la vieillesse, en
le choyant et le caressant.
Donc, sous l'influence de la belle journée qu'il sentait épanouie au
dehors, il cherchait un sujet poétique. Un peu engourdi d'ailleurs par sa
cigarette et son déjeuner, il rêvassait, le regard en l'air, esquissant dans
l'azur des figures rapides, des femmes gracieuses dans une allée du bois
ou sur le trottoir d'une rue, des amoureux au bord de l'eau, toutes les
fantaisies galantes où se complaisait sa pensée. Les
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 92
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.