Contes et poésies de Prosper Jourdan: 1854-1866 | Page 2

Prosper Jourdan
mon coeur, fils qui as été mon orgueil, ami qui as été ma force et ma joie! non, mon ame te cherche sur les hauts sommets, dans ces champs de l'infini peuplés de demeures éclatantes.
Plus que jamais je crois à l'immortalité, à la persistance de l'individualité humaine à travers le temps et l'espace; je crois au libre arbitre, aux développements successifs de la vie, aux paradis et aux enfers que nous nous créons, suivant le bon ou le mauvais usage que nous faisons de notre liberté.
Je crois surtout à la toute-puissance de l'amour, du dévouement, de la bonté, de l'indulgence, de toutes ces grandes vertus dont tu possédais et dont j'admirais le germe en toi, mon Prosper!
Je crois aujourd'hui tout ce que nous croyions ensemble avec les lumières de notre conscience et sans le secours d'aucun prêtre catholique ou protestant. Nous étions et nous sommes toujours de ceux qui n'appartiennent à aucune des églises existantes, et qui cependant se sentent religieusement unis à Dieu et à tout ce qui est vrai, juste, bon et beau.
Tu le vois, cher bien-aimé, je t'écris comme je t'écrivais quand nous étions momentanément séparés pendant ton existence sur cette planète; je t'ouvre mon coeur, je te rassure sur notre compte comme si tu en avais besoin, en te disant que si ton départ a brisé nos ames dans la douleur, il ne les a du moins pas desséchées et que notre foi reste entière comme elle l'était quand tu étais près de nous.
Et maintenant, mon Prosper chéri, approuveras-tu ce que nous avons fait? Tu as mis autant de soin, mon doux po?te, à cacher ton nom et tes vers que d'autres en incitent à se produire avec fracas. Mais à présent, quand tu vis loin de ce globe, nous pardonneras-tu de réunir en un volume ces chants de ta jeunesse? Non que nous ayons la pensée de les livrer au public et aux indifférents! Mais, est-ce faiblesse, piété ou amour-propre paternel, nous voulons offrir à chacun de nos amis, en souvenir de toi, ce volume discret qui ne franchira pas les bornes de l'intimité et de l'affection. La plupart de ceux qui t'ont connu,--et tous ceux qui t'ont connu t'ont aimé,--ne soup?onnent même pas l'oeuvre que tu as laissée, si incomplète qu'elle soit. Je laisse de c?té, bien entendu, et je garde pour nous seuls les lettres, les esquisses, les plans, les articles que tu as publiés sous divers pseudonymes. J'ai fait parmi tes po?mes, avec le concours de ta mère et de ton frère, un choix presque rigoureux. Je n'ai voulu mettre sous les yeux de nos amis que ce que ton go?t, si exquis en toutes choses, aurait lui-même avoué.
En tête de ce volume je placerai cette lettre, où nous n'avons pu que bien imparfaitement exprimer notre profond et tendre amour.
A toi, notre fils, notre frère, notre compagnon, notre ami, à toi toujours et à notre réunion future.
H.C. et L.J.
Paris, 3 ao?t 1866.
CONTES ET POéSIES
A MADAME GEORGE SAND
_Vous savez, Madame, vous qui voulez bien m'appeler votre petit-fils, avec quel affectueux respect j'ose invoquer ici l'amitié que vous me parlez depuis mon enfance pour mettre sous votre protection ce petit livre.
Je vous le dédie parce que votre génie m'est sympathique et parce que votre bonté m'enhardit et m'attire, en un mot parce que je vous aime. Comme c'est la première fois de ma vie que j'écris une dédicace, on m'excusera d'y avoir mis plus de coeur que d'esprit.
Voilà donc pourquoi je vous dédie mes essais, et non par orgueil; j'en pourrais cependant sentir un bien naturel de mettre ces vers à l'abri d'un tel nom et sous la sauvegarde d'une amitié qui m'est si chère.
C'est pourtant un peu par égo?sme, c'est-à-dire pour me faire bien venir de mes lecteurs et de mes lectrices, que je prends la précaution superflue de me justifier auprès de vous. En sachant que vous m'aimez, eux qui vous aiment tant, ils m'aimeront peut-être un peu aussi, et, vous le savez la sympathie est relative: lorsqu'elle s'adresse à vous, c'est de l'admiration; en s'adressant à moi, ce sera de l'indulgence. J'en ai si grand besoin!_
PROSPER JOURDAN.
ROSINE ET ROSETTE
I
Ce chant était fort long. Il n'a plus qu'une page;?C'est fait. N'y pensons plus. Mais c'est vraiment dommage. Maintenant n'allez pas, lecteur, le regretter;?Il para?t qu'il était ennuyeux à crier.?On a donc très-bien fait de l'?ter; c'est plus sage.?Mais à ce compte-là, ce n'est pas le premier?Qu'il fallait supprimer, c'étaient les douze ensemble,?Car ils se valent tous à peu près. Il me semble?Qu'on pourrait comparer ce chapitre défunt,?Sans trop lui faire tort, à la mort de quelqu'un;?Ceux qui restent, ma foi! sont bien les plus à plaindre;?C'est d'eux évidemment qu'il faut avoir pitié.
Ces pauvres survivants! c'est pour eux qu'il faut craindre. Leur tendrez-vous la main? Leur avenir entier?Dépend de vous, Madame, et de
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