Chateaubriand | Page 3

Jules Lemaitre
s'��coulaient d'une mani��re sauvage, bizarre, insens��e, et pourtant pleine de d��lices.? Il nous dit aussi que sa ferveur religieuse se ralentit alors; et je le crois sans peine.
�� Combourg, o�� il a presque toujours pass�� ses vacances, il fait, ses premi��res ��tudes finies, un s��jour un peu long. Combourg est un sombre chateau f��odal parmi des ��tangs et des landes. Combourg est lugubre, mais d'un grand aspect et qui tout de m��me le remplit d'orgueil. Les soirs d'hiver, apr��s le souper, dans la grande salle ��clair��e d'une seule chandelle, pendant que le p��re maniaque fait invariablement les cent pas, la m��re et les enfants demeurent silencieux devant la vaste chemin��e; puis le chevalier va se coucher dans un donjon isol��, o�� ?il ne perd pas un murmure des t��n��bres?. Mais, le jour, il fait ce qu'il veut, et, pour se consoler, il a ses quatre soeurs et surtout Lucile.
Lucile est une ��trange fille, belle, pale, avec ?quelque chose de r��veur et de souffrant?. ?Tout lui ��tait souci, chagrin, blessure... �� dix-sept ans, elle d��plorait la perte de ses jeunes ann��es... Elle avait des songes proph��tiques.? Tous deux font ensemble d'interminables promenades et s'��chauffent sur la litt��rature. Ils traduisent ensemble les plus beaux et les plus d��sesp��r��s passages de Job et de Lucr��ce sur la vie. Elle ��crit de petits po��mes en prose, ?d'une sensibilit�� passionn��e?. Il lui raconte tout ce qu'il r��ve; elle lui dit: ?Tu devrais peindre tout cela.? Ils s'amusent et s'entra?nent tous deux �� ��tre tristes de cette tristesse ?qui a fait, dit-il, mon tourment et ma f��licit��?.
Comment, ayant cette amie �� son c?t��, en vient-il �� songer au suicide? Il ne l'explique que par ces mots: ?Lucile ��tait malheureuse, ma m��re ne me consolait pas, mon p��re me faisait ��prouver les affres de la vie.? Et il est vrai que ce fut, plut?t qu'un suicide, une sorte de d��fi �� la destin��e. Il poss��dait un fusil de chasse dont la d��tente ��tait us��e: ?Je chargeai ce fusil..., je l'armai, j'introduisis le bout du canon dans ma bouche, je frappai la crosse contre terre, je r��it��rai plusieurs fois; le coup ne partit pas, l'apparition d'un garde suspendit ma r��solution.? Peut-��tre bien qu'il n'avait pas frapp�� la crosse tr��s fort... Puis il raconte cela vingt-cinq ans apr��s. Enfin, ce fut tout au moins une mani��re de jouer assez dangereusement avec la mort. Mais je ne puis m'emp��cher de croire qu'il a trich��.
Comme il r��vait et d��sirait tout, et qu'en outre il r��pugnait �� toute discipline, il ne sut pas choisir son m��tier et sa vie. On avait pens�� �� faire de lui un marin: il s'��tait d��rob��. Ensuite il avait dit qu'il serait pr��tre, mais bient?t il ne voulut plus. ?Abb��, je me parus ridicule.?--?Je dis donc �� ma m��re que je n'��tais pas assez fortement appel�� �� l'��tat eccl��siastique.? En quoi il ne se trompait pas. Alors il d��clara qu'il irait au Canada d��fricher des for��ts, ou aux Indes chercher du service chez quelque rajah. Projet vague et admirable. Son p��re demanda simplement pour lui un brevet de sous-lieutenant au r��giment de Navarre.
Apr��s quelques mois de garnison �� Cambrai, il vient �� Paris et y fait d'abord un peu la figure du Huron de Voltaire, ou plut?t celle que, dans les Natchez, il pr��tera �� Chactas visitant Paris. Il est pr��sent�� au roi, suit la chasse �� Versailles. Il retrouve �� Paris deux de ses soeurs: Julie, devenue madame de Farcy, ��l��gante et brillante,--et Lucile. Il s'attache �� Malesherbes, dont son fr��re est devenu le parent par son mariage avec une Rosambo.--Son p��re meurt en 1786.
On ��tait �� la veille de la R��volution: ?Tout ��tait d��rang�� dans les esprits et dans les moeurs... Les magistrats tournaient en moquerie la gravit�� de leurs p��res... Le pr��tre, en chaire, ��vitait le nom de J��sus-Christ et ne parlait que du l��gislateur des chr��tiens... Le supr��me bon ton ��tait d'��tre Am��ricain �� la ville, Anglais �� la cour, Prussien �� l'arm��e: d'��tre tout, except�� Fran?ais. Ce que l'on faisait, ce que l'on disait n'��tait qu'une suite d'incons��quences.? Ainsi ��crit-il trente ans plus tard: mais, au moment m��me, il n'est pas trop m��content de ce qui arrive. ?Nous nous entendions en politique (avec M. de Malesherbes): les sentiments g��n��reux du fond de nos premiers troubles allaient �� l'ind��pendance de mon caract��re, l'antipathie naturelle que je ressentais pour la cour ajoutait force �� ce penchant.?
Mais le monde litt��raire l'attire. Il d��bute dans l'Almanach des Muses; mon Dieu, oui. Il fr��quente Parny, Ginguen��, Flins, Le Brun, La Harpe, Chamfort, et son futur grand ami, et qui lui sera si bienfaisant et si fid��le, Fontanes. De quelques-uns de ces ��crivains, il trace, trente ans apr��s, des portraits fort pittoresques et malveillants: c'est qu'alors il les juge avec une autre ame, avec ce que les ��v��nements
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