Andre | Page 2

George Sand
et bonne noblesse qui prend bravement son parti sur les vicissitudes politiques, l�� par g��n��rosit��, ici par sto?cisme, ailleurs par apathie. Je sais d'anciens seigneurs qui portent des sabots, et boivent leur piquette sans se faire prier. Ils ne font plus ombrage �� personne; et si le pr��sent n'est pas brillant pour eux, du moins n'ont-ils rien �� craindre de l'avenir.
Il faut reconna?tre que parmi ces gens-l�� on rencontre parfois des caract��res solidement tremp��s et vraiment faits pour traverser les temps d'orages. Plus d'un qui se serait d��battu en vain contre sa nature ��paisse, s'il e?t succ��d�� paisiblement �� ses anc��tres, s'est fort bien trouv�� de venir au monde avec la force physique et l'insouciance d'un rustre. Tel ��tait le marquis de Morand. Il sortait d'une riche et puissante lign��e, et pourtant s'estimait heureux et fier de poss��der un petit vieux castel et un domaine d'environ deux cent mille francs.
Sans se creuser la cervelle pour savoir si ses a?eux avaient eu une plus belle vie dans leurs grands fiefs, il tirait tout le parti possible de son petit h��ritage; il y vivait comme un v��ritable laird ��cossais, partageant son ann��e entre les plaisirs de la chasse et les soins de son exploitation; car, selon l'usage des purs campagnards, il ne s'en remettait �� personne des soucis de la propri��t��. Il ��tait �� lui-m��me son majordome, son fermier et son m��tayer; m��me on le voyait quelquefois, au temps de la moisson ou de la fenaison, impatient de serrer ses denr��es menac��es par une pluie d'orage, poser sa veste sur un rateau plant�� en terre, donner de l'aisance aux courroies ��lastiques qui soutenaient son haut-de-chausses sur son ventre de Falstaff, et, s'armant d'une fourche, passer la gerbe aux ouvriers. Ceux-ci, quoique essouffl��s et ruisselants de sueur, se montraient alors empress��s, fac��tieux et pleins de bon vouloir; car ils savaient que le digne seigneur de Morand, en s'essuyant le front au retour, leur versait le coup d'embauchage pour la semaine suivante, et ferait en vin de sa cave plus de d��pense que l'eau de pluie n'e?t caus�� de d��gats sur sa r��colte.
Malgr�� ces petites incons��quences, le hobereau faisait bon usage de sa vigueur et de son activit��. Il mettait de c?t�� chaque ann��e un tiers de son revenu, et, de cinq ans en cinq ans, on le voyait arrondir son domaine de quelque bonne terre labourable ou de quelque beau carrefour de h��tre et de ch��ne noir. Du reste, sa maison ��tait honorable sinon ��l��gante, sa cuisine confortable sinon exquise, son vin g��n��reux, ses bidets pleins de vigueur, ses chiens bien ouverts et bien ��vid��s au flanc, ses amis nombreux et bons buveurs, ses servantes hautes en couleur et quelque peu barbues. Dans son jardin fleurissaient les plus beaux espaliers du pays; dans ses pr��s paissaient les plus belles vaches; enfin, quoique les limites du chateau et de la ferme ne fussent ni bien trac��es ni bien gard��es, quoique les poules et les abeilles fussent un peu trop accoutum��es au salon, que la saine odeur des ��tables p��n��trat fortement dans la salle �� manger, il n'est pas moins certain que la vie pouvait ��tre douce, active, facile et sage derri��re les vieux murs du chateau de Morand.
Mais Andr�� de Morand, le fils unique du marquis, n'en jugeait pas ainsi; il faisait de vains efforts pour se renfermer dans la sph��re de cette existence, qui convenait si bien aux go?ts et aux facult��s de ceux qui l'entouraient. Seul et chagrin parmi tous ces gens occup��s d'affaires lucratives et de commodes plaisirs, il s'adressait des questions dangereuses: ?A quoi bon ces fatigues, et que sont ces jouissances? Travailler pour arriver �� ce but, est-ce la peine? Quel est le plus rude, de se condamner �� ces amusements ou de se laisser tuer par l'ennui?? Toutes ses id��es tournaient dans ce cercle sans issue, tous ses d��sirs se brisaient �� des obstacles grossiers, insurmontables. Il ��prouvait le besoin de poss��der ou de sentir tout ce qui ��tait ignor�� de ses proches; mais ceux dont il d��pendait ne s'en souciaient point, et r��sistaient �� sa fantaisie sans se donner la peine de le contredire.
Lorsque son p��re s'��tait d��cid�� �� lui donner un pr��cepteur, ?'avait ��t�� par des raisons d'amour-propre, et nullement en vue des avantages de l'��ducation. Soit disposition inv��t��r��e, soit l'effet du d��saccord ��tabli par cette ��ducation entre lui et les hommes qui l'entouraient, le caract��re d'Andr�� ��tait devenu de plus en plus insolite et singulier aux yeux de sa famille. Son enfance avait ��t�� maladive et taciturne. Dans son age de pubert��, il se montra m��lancolique, inquiet, bizarre. Il sentit de grandes ambitions fermenter en lui, monter par bouff��es, et tomber tout �� coup sous le poids du d��couragement. Les livres dont on le nourrissait pour l'apaiser ne lui suffisaient pas ou l'absorbaient trop. Il
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