Aline et Valcour, tome II | Page 2

D.A.F. de Sade
de me décider au parti qui me resterait pour les rompre. Je suppliai donc mon père de m'accorder huit jours, et je lui promis de me rendre incessamment après où il lui plairait de m'exiler. J'obtins le délai désiré, et vous imaginez facilement que je n'en profitai que pour travailler à détruire tout ce qui s'opposait au dessein que Léonore et moi avions de nous réunir à jamais.
J'avais une tante religieuse au même Couvent où on venait d'enfermer Léonore; ce hasard me fit concevoir les plus hardis projets: je contai mes malheurs à cette parente, et fus assez heureux pour l'y trouver sensible; mais comment faire pour me servir, elle en ignorait les moyens.--L'amour me les suggère, lui dis-je, et je vais vous les indiquer.... Vous savez que je ne suis pas mal en fille; je me déguiserai de cette manière; vous me ferez passer pour une parente qui vient vous voir de quelques provinces éloignées; vous demanderez la permission de me faire entrer quelques jours dans votre Couvent.... Vous l'obtiendrez.--Je verrai Léonore, et je serai le plus heureux des hommes.
Ce plan hardi parut d'abord impossible à ma tante; elle y voyait cent difficultés; mais son esprit ne lui en dictait pas une, que mon coeur ne la détruis?t à l'instant, et je parvins à la déterminer.
Ce projet adopté, le secret juré de part et d'autre, je déclarai à mon père que j'allais m'exiler, puisqu'il l'exigeait, et que, quelque dur que f?t pour moi l'ordre où il me for?ait de me soumettre, je le préférais sans doute au mariage de Mademoiselle de Vitri. J'essuyai encore quelques remontrances; on mit tout en usage pour me persuader;mais voyant ma résistance inébranlable, mon père m'embrassa, et nous nous séparames.
Je m'éloignai sans doute; mais il s'en fallait bien que ce f?t pour obéir à mon père. Sachant qu'il avait placé chez un banquier à Paris une somme très-considérable, destinée à l'établissement qu'il projetait pour moi, je ne crus pas faire un vol en m'emparant d'avance des fonds qui devaient m'appartenir, et muni d'une prétendue lettre de lui, forgée par ma coupable adresse, je me transportai à Paris chez le banquier, je re?us les fonds qui montaient à cent mille écus, m'habillai promptement en femme, pris avec moi une soubrette adroite, et repartis sur-le-champ pour me rendre dans la Ville et dans le Couvent où m'attendait la tante chérie qui roulait bien favoriser mon amour. Le coup que je venais de faire était trop sérieux pour que je m'avisasse de lui en faire part; je ne lui montrai que le simple désir de voir Léonore devant elle, et de me rendre ensuite au bout de quelques jours aux ordres de mon père.... Mais comme il me croyait déjà à ma destination, dis-je à ma tante, il s'agissait de redoubler de prudence; cependant, comme on nous apprit qu'il venait de partir pour ses biens, nous nous trouvames plus tranquilles, et dès l'instant nos ruses commencèrent.
Ma tante me re?oit d'abord au parloir, me fait faire adroitement connoissance avec d'autres religieuses de ses amies, témoigne l'envie qu'elle a de m'avoir avec elle, au moins pendant quelques jours, le demande, l'obtient; j'entre, et me voilà sous le même toit que Léonore.
Il faut aimer, pour conna?tre l'ivresse de ces situations; mon coeur suffit pour les sentir, mais mon esprit ne peut les rendre.
Je ne vis point Léonore le premier jour, trop d'empressement f?t devenu suspect. Nous avions de grands ménagemens à garder; mais le lendemain, cette charmante fille, invitée à venir prendre du chocolat chez ma tante, se trouva à c?té de moi, sans me reconna?tre; déjeuna avec plusieurs autres de ses compagnes, sans se douter de rien, et ne revint enfin de son erreur, que lorsqu'après le repas, ma tante l'ayant retenue la dernière, lui dit, en riant, et me présentant à elle:--Voilà une parente, ma belle cousine, avec laquelle je veux vous faire faire connaissance: examinez-la bien, je vous prie, et dites-moi s'il est vrai, comme elle le prétend, que vous vous êtes déjà vues ailleurs.... Léonore me fixe, elle se trouble; je me jette à ses pieds, j'exige mon pardon, et nous nous livrons un instant au doux plaisir d'être s?rs de passer au moins quelques jours ensemble.
Ma tante crut d'abord devoir être un peu plus sévère; elle refusa de nous laisser seuls; mais je la cajolai si bien, je lui dis un si grand nombre de ces choses douces, qui plaisent tant aux femmes, et sur-tout aux religieuses, qu'elle m'accorda bient?t de pouvoir entretenir tête-à-tête le divin objet de mon coeur.
Léonore, dis-je à ma chère ma?tresse, dès qu'il me fut possible de l'approcher: ? Léonore, me voilà en état de vous presser d'exécuter nos sermens; j'ai de quoi vivre, et pour vous, et pour moi, le reste de nos jours. Ne perdons pas un instant, éloignons-nous.--Franchir
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